4.5.20

Ce que je préfère dans les idées dont je pense quand je les ai que je ne les réaliserai pas, c’est que je n’en sais rien et que, peut-être, contrairement à ce que je pense, elles se réaliseront. Pourquoi alors est-ce que je pense qu’elles ne se réaliseront pas ? Sans doute parce qu’une idée nouvelle, une idée qu’on n’a jamais eue, se présente toujours sous la forme d’une impossibilité, ou de quelque chose dont la forme définitive semble si lointaine qu’elle tendrait presque vers l’infini. Par exemple, l’idée que j’ai eue hier tenait en un mot, tout seul, tout bête, enfin, bête peut-être pas, mais pas franchement rare ni recherché, simplement un mot, et pourtant ce que recouvrait ou impliquait ou enveloppait ce mot en disait beaucoup plus long que le mot seul pourrait le laisser penser (sous-entendu, je suppose, à un autre que moi). Ce mot, je le garde, me suis-je dit, même si je n’en fais rien tout de suite, sait-on jamais, quelque réalité s’y attachera peut-être, plus tard, quand je ne m’y attendrai pas, quand je ne lui attacherai plus la moindre importance, même, c’est possible. Je l’ai noté dans mon carnet, pour l’oublier et m’en souvenir. Plus tard. N’est-ce pas ce qu’il y a de plus excitant, ce plus tard ? Une amie m’avait reproché un jour de ne pas vivre dans le présent, de toujours penser à l’avenir, et moi je ne comprenais ce qu’elle voulait dire par là, je ne comprenais pas qu’on puisse se satisfaire de l’instant présent comme une fin en soi ou un absolu. Nous n’étions sans doute pas faits pour nous comprendre, c’est vrai, pourtant, nous avons essayé un certain temps, le temps qu’il nous a fallu pour comprendre que nous ne nous comprendrions jamais. Je continue de penser qu’elle avait tort : si je ne pensais qu’au moment présent, je ne penserais pas à ce qu’elle m’avait dit, maintenant. Mais ce n’est pas ce qu’elle voulait dire, alors peut-être qu’elle avait raison. Ce que j’avais envie de dire, c’est qu’il fallait laisser la possibilité à l’imprévu de se produire en le prévoyant, disposer les choses autour de soi, en soi, hors de soi, je ne sais pas, partout, pour que quelque chose de puissant se produise, quelque chose qu’on ne pouvait pas prévoir en tant que tel mais qu’on attendait pourtant. Notre époque, dans une sorte de délire de rationalité, voudrait tout prévoir, mais ne s’attend jamais à ce qui a lieu et s’effondre alors sous l’effarement de sa propre irrationalité. Effarement, c’est le mot. La prévision de l’imprévu, par définition impossible, ménage un passage par où l’étonnement peut se frayer pour réaliser l’irréalisable. Pas l’effarement, l’étonnement.

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