RESTEZ CHEZ VOUS. Nous n’avons pas de désirs qui nous soient propres, mais seulement des désirs investis par d’autres que nous, des petits chefs, des starlettes braillardes, des héros de pacotille, des gourous vicieux, des directeurs de conscience, des relayeurs de science. Nos consciences ont-elles jamais été si pauvres, comme vides, on dirait inconscientes de tout ce qui les détermine à agir et ne pas agir ? On peut toujours croire qu’on vit, qu’on est à l’origine de sa propre existence, qu’on fait ce qu’on veut, qu’on a choisi librement de ne plus sortir pour sauver des vies, on peut toujours se mentir, mais cette absence de lucidité, cet aveuglement de soi, n’est-ce pas cela qui nous jette, précisément, dans cette prison médiocre qu’on appelle « maison » ? La qualité du jour s’est dégradée à mesure qu’il avançait : il faisait si beau ce matin, dehors, je regardais le ciel et les pins érigés en monuments désuets, là, au bord de la route, vestiges dans le paysage fracassé, le vert des aiguilles se détachant à la perfection sur ce fond de ciel bleu où se diluaient des nuages, légers, imperceptibles à qui ne les aurait pas regardés avec attention, avec passion, avec amour, et puis le ciel s’est voilé, la lumière troublée, il n’y avait plus cette grande clarté qui fait qu’on semble voir l’autre bout de l’univers, l’autre rive de la mer, c’était beau aussi, là n’est pas la question, mais ce n’était pas aussi net, aussi précis, aussi clair. La clarté du ciel comme des idées, de l’air comme des phrases est chose si précieuse, si rare aussi, je crois. Que tout semble confus au regard de ce ciel bleu, que tout semble brumeux au regard des phrases aiguës, armes tranchantes du langage. Qu’elle est grise, au contraire, cette langue absconse par laquelle on nous force à agir. RESTEZ CHEZ VOUS. Langage réduit au rang de message. Ordre. Impératif. Plus la peine de parler. Reste chez toi et tais-toi. Le monde n’a pas basculé durant ces deux derniers, non, ce n’est pas vrai, seulement, celui qui avait le désir acéré de regarder pouvait le voir nu, dans ce qu’il a de plus odieux, la force qu’il emploie pour enrégimenter les corps, les incarcérer. Et les gens, habitués qu’ils sont à baigner dans la grande confusion des messages de la communication, ont adhéré comme si c’était eux qui décidaient, comme s’ils étaient libres d’agir comme ils le faisaient. RESTEZ CHEZ VOUS, ont-ils répété, choreutes sous hypnose en rang derrière leur coryphée malade.
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