23.5.20

L’autre jour, il y a quoi ? une ou deux semaines — c’était pendant le « confinement » —, il y a trois semaines donc, disons, Nelly me l’avait dit et ce soir elle me l’a dit elle-même, Daphné est tombée, elle s’est fait mal au genou gauche, et puis elle a regardé le ciel et elle s’est mise à penser que le ciel existait déjà avant les dinosaures, et ensuite elle a pensé que tout allait revenir, c’est ce qu’elle raconte, les Égyptiens, les Grecs, dans la première version qu’elle a racontée à Nelly, le jour où elle a eu cette révélation, puisqu’il faut bien appeler un chat « un chat », elle trouvait que c’était triste parce que toutes ces ruines, nous ne serions pas là pour les voir, le cycle du retour, dans son idée, je le suppose, n’était pas complet, pas tout à fait, et puis ce soir, comme elle m’en a parlé à nouveau, et que je savais un peu de quoi il en retournait, je l’ai un peu poussée, je lui ai dit que elle aussi alors, si tout revenait, elle allait revenir, et elle m’a dit oui, on pourrait penser que je l’ai influencée, ce qui n’est pas idiot, étant son père, mais non, pas tant que ça, quand elle n’est pas d’accord, Daphné n’hésite pas à le faire savoir, violemment parfois, ce dont je me suis assuré, en revanche, c’est que nous ne lui avions pas dite, nous, que nous ne la lui avions pas racontée, nous, cette histoire du retour de toutes choses, et non, m’a-t-elle dit, c’est ce qu’elle a pensé quand elle est tombée, et qu’elle a vu le ciel, le ciel qui était déjà là, avant nous, avant tout, et moi, je me suis demandé comment une petite fille peutbien avoir l’intuition du retour de toutes choses à quatre ans et demi, est-ce que tout le monde a cette intuition et que personne n’écoute ? après tout, c’est une possibilité, non ? ou alors quelque chose est-il là, dans le ciel, qu’on peut saisir, à 4, 44, 7 ou 77 ans, tout ce qu’il faut, c’est faire attention, quelle différence cela fait ? saisir d’un coup, en regardant le ciel, n’est-ce pas magnifique de saisir quelque chose d’insaisissable en regardant le ciel ? Daphné avait déjà parlé du ciel, quelques mois plus tôt, cela s’était passé au club de sport où elle va en temps normal, le mercredi, on m’avait dit que, parfois, elle s’absentait, qu’il fallait la rappeler à l’ordre (on ne me l’avait pas dit en ces termes-là, je traduis les mots en français) et moi, donc, ensuite, j’avais demandé à Daphné ce qu’il se passait, et elle m’avait donné cette réponse, qui m’avait étonnée, pour un enfant de 4 ans et quelque chose mais pas beaucoup, je regardais le ciel, papa, m’avait-elle dit, mot à mot, ce qui est, en effet, une activité durant laquelle il ne convient pas que l’on soit dérangé, d’autant moins qu’on finit par y découvrir le secret du retour de toutes choses, de l’éternel retour. J’avais demandé à Nelly de mettre par écrit ce récit de Daphné, et puis comme elle me l’a fait aussi, ce soir, au moment de se brosser les dents, et que je peux le rattacher à cet événement qu’elle a vécu au club de sport du mercredi, moi aussi, je le consigne. Je ne sais pas trop quoi en déduire. Peut-être, d’ailleurs, n’y a-t-il rien à en déduire. Je le consigne, c’est tout.