24.6.20

J’ai été réveillé vers cinq heures du matin par des cris que je ne suis pas parvenu à identifier tout de suite et que, comme je ne suis pas parvenu à les identifier tout de suite, j’ai attribué à Daphné, quand même cela serait hautement improbable, c’est cela que j’ai fait spontanément avant de me rendre compte que ce n’était pas les cris de Daphné, mais des cris d’oiseaux de mer, mouettes ou goélands, je ne sais jamais, peut-être les deux. Alors, je me suis levé et je suis allé fermer les fenêtres du salon que, dans la mesure où il commence à faire chaud, j’avais laissé ouvertes, parce que j’avais commencé de me représenter qu’un oiseau allait entrer dans la maison par l’une de ces fenêtres grand ouvertes et nous manger, j’ai commencé d’être obsédé par cette image d’un oiseau affairé à nous manger et je suis allé fermer les fenêtres, me disant que, de toute façon, comme ce n’était pas vrai, je ne trouverais nul oiseau dans l’appartement décidé à nous manger que je devrais dès lors chasser à grands coups de balai, non ce n’était pas vrai, je ne tarderais pas à me recoucher, ce que j’ai fait, oui, sauf que, ne parvenant pas à retrouver le sommeil interrompu, je me suis dit que j’allais jeter un œil à internet, je me suis dit que j’allais consulter Google News. Ce qui, évidemment, est toujours la pire idée que l’on puisse avoir. Et c’est celle que j’ai eue. Bien entendu. Je ne me souviens pas de ce que j’ai lu sur Google News. Généralement, je ne lis que les titres, dépourvus d’intérêt, et que je trouve débiles, mais alors pourquoi est-ce que je les lis si je les trouve débiles ? Dans l’espoir d’en trouver un qui ne soit pas débile ? Non. Je lisais les titres que je trouvais débiles quand j’en ai lu un qui ne me semblait pas moins débile que les autres, mais sur lequel j’ai appuyé quand même, et lu d’un œil pas bien ouvert l’article qui se trouvait derrière le titre. C’était un article sur la cérémonie des Molières qui avait dû se réinventer pour cause de pandémie, article sans intérêt donc, parce que je ne vais pas au théâtre et que je ne regarde pas la télévision, mais que j’ai lu quand même. Pourquoi ? Pour me faire du mal. J’ai passé rapidement sur les déclarations des uns et des autres disant que le théâtre étant un art millénaire, ce n’était pas un virus qui allait le tuer, probablement en écho à cette femme de théâtre qui avait déclaré pendant le confinement qu’on ne pouvait pas jouer du théâtre avec un masque, pour consulter le palmarès. C’est là que j’ai vu le nom de cette fille avec laquelle j’avais travaillé quand je vivais à Paris : elle avait eu un Molière pour une pièce adaptée d’un livre, adapté d’une série de fictions radiophoniques, comme disent les autres, en tout cas, un filon bien exploité et qui rapporte, avant de faire un film, je suppose, mais ce n’est pas ce que je me suis dit tout de suite, non, cela je ne me le dis que maintenant, par pure jalousie, non, sur le coup, j’ai pensé le plus sincèrement du monde que, décidément, il n’y avait que moi qui n’avais pas de succès, jamais, rien, et que ce réveil, c’était simplement la réponse que me faisait le monde à la question que j’avais adressée à Dieu avant de me coucher, histoire de savoir quand il allait faire que je réussisse. Jamais, donc, me répondait Dieu, ce sont les autres qui réussissent, Jérôme, pas toi. Le plus étrange dans cette histoire, c’est que je ne me suis pas démonté pour autant : je me suis levé et j’ai écrit le poème que j’avais commencé de composer la veille, dans ma tête, avant de me coucher. Était-ce ma réponse au monde qui venait de me dire qu’il ne m’aimait pas, qu’il préférait les autres ? Je ne sais pas. Dites ainsi, les choses, enfin, les choses, le destin, dite ainsi, donc, cette affaire de destin semble caricaturale, d’autant qu’on aurait du mal à persuader quiconque que Google News est hiérophante et la cérémonie des Molières, son oracle, mais c’est ainsi que j’ai interprété ce réveil. Bizarre, j’allais dire, mais bizarre, je ne sais pas. Après tout, est-ce si bizarre que cela de se poser des questions et de vouloir trouver des réponses à ces questions ? À Cumes, cet automne, j’ai cherché la Sibylle sans la trouver, et les temples étaient tous en ruines depuis des siècles. Les seules âmes étaient celles des touristes, lesquels n’ont jamais rien à dire. Est-ce plus rationnel de déchiffrer les prophéties dans les nuages digitaux que sur les feuilles d’arbre ? Est-ce que je veux vraiment savoir ? Pas si cela doit encore m’empêcher de dormir. Non.