29.7.20

Que chaque époque se voie comme le point le plus avancé de l’histoire explique que toutes les époques aient le plus grand mal à saisir qu’il n’y a pas de point le plus avancé de l’histoire, l’histoire n’étant ni une suite de points ni une ligne, ou alors sous la forme d’une constellation en extension permanente. Une époque n’a pas besoin d’être homogène (aucune époque n’est homogène) pour posséder ce caractère, au contraire, il se duplique à l’intérieur de l’époque dans chaque tendance qui la constitue si bien que chacune de ces tendances se croit le point le plus avancé de l’histoire alors qu’elle s’oppose à d’autres tendances qu’elle tient pour rétrogrades bien qu’elles se considèrent elles-mêmes comme les points les plus avancés de l’histoire. Évidemment, celles et ceux qui alimentent chacune de ces tendances n’ont pas et ne peuvent pas avoir conscience d’entretenir le même genre de croyances qu’entretenaient celles et ceux qui vivaient à d’autres époques parce qu’une telle conscience ruine l’espoir de réduire la question du sens de l’existence à une réponse simple : Dieu, les droits de l’Homme, la dictature de Prolétariat, la fin du Patriarcat, l’Absurde, le Néant, etc. Pourtant, que le sens de la vie ne se réduise pas à une réponse simple à une question simple ne signifie pas que la vie n’a pas de sens, mais que ce sens ne trouve pas à s’exprimer dans un slogan qui, pour être facile à retenir et pouvoir être crié très fort, n’en est pas plus vrai. À supposer que le sens de la vie puisse se présenter à qui le cherche dans le temps d’une vie — hypothèse qui ne va pas de soi le moins du monde —, le fait qu’il se présente sous la forme d’une expérience non-propositionnelle plutôt que sous la forme d’une proposition semble impliquer que le sens de la vie n’est pas quelque chose qu’il faille ânonner à tout bout de champ, mais une expérience (une émotion, un sentiment, un chamboulement, une grande clarté, un abîme de perplexité, que sais-je encore ?) dont il faille faire quelque chose, en quelque sorte : qu’il faille vivre. À supposer qu’elle en ait un, le sens de la vie ne s’énonce pas, il se vit. Ce qui revient à dire quelque chose comme ceci : le sens de la vie se vit. Il se vit plus qu’il ne se dit. Et peut-être la vie a-t-elle d’autant moins de sens que ce supposé sens se dit facilement, et à tue-tête. Ou, pour le dire autrement, le sens de la vie n’est pas un repos, un apaisement, une notion qui rassure, une garantie, un fondement, ce n’est pas une phrase qui, une fois qu’on l’a prononcée, explique tout, résout tous les problèmes, c’est peut-être même l’inverse. Dire que le sens de la vie se dit moins qu’il ne se vit, cela signifie que le sens de la vie, il faut le faire vivre. Le sens de la vie n’est pas quelque chose qui nous fait vivre, nous donne une raison de vivre, mais une expérience qu’il s’agit d’agir. Non pour refaire la même expérience (le sens de la vie n’est pas quelque chose que l’on découvre une bonne fois pour toutes dans une révélation), mais pour en faire quelque chose (dans son prolongement, son développement, son intensification, son approfondissement, sa précision, etc.) d’autre.

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