Si l’on tombait un jour, par hasard ou au terme d’une longue recherche, sur le sens de la vie, de quoi celui-ci aurait-il l’air : d’une mappemonde, d’une liste de courses, d’un roman, d’une émission de téléréalité, d’une théorie scientifique, d’un poème, d’un film de série B, d’un opéra, d’une chanson d’amour, d’autre chose encore ? Peut-être y a-t-il autant de réponses définitives à la question que de gens qui cherchent une réponse définitive à la question, ce qui signifie probablement qu’il n’y a pas un sens, mais des sens. Certes, mais faut-il que tel ou tel sens de la vie se donne sous une forme ? Ce que j’entends par là pourrait s’exprimer de cette façon : ce que l’on cherche quand on cherche le sens de la vie, ce n’est pas une forme, ce n’est pas quelque chose qui tienne en une forme (d’où les idées répandues selon lesquelles l’expérience correspondant à la découverte du sens de la vie ne peut pas se dire dans le langage, du moins pas dans le langage ordinaire, qu’elle nécessite un autre langage, incompréhensible de préférence), ce qui revient à dire qu’on ne cherche pas un sens, mais alors quoi ? Le sens de la vie tel qu’on le recherche quand on s’interroge à son sujet ne se confond-il pas, en fait, avec la négation du sens de la vie, la vraie vie devant être quelque chose de parfaitement étranger à la vie ordinaire, le tout autre de la vie, sa négation ? Ce qui reviendrait à dire que chercher le sens de la vie, c’est chercher le sens de la non-vie. L’autre vie, nouvelle, semble absolument incompatible avec la vie telle qu’elle est effectivement vécue au quotidien, tant est si bien que la recherche du sens de la vie se confond avec une activité qui, quand on y réfléchit, est totalement différente, à savoir : la recherche des moyens d’échapper à la vie, de s’évader de cette vie-ci. Qui pourrait, en effet, s’étant posé la question du sens de la vie, vouloir continuer à vivre cette vie-ci ? Idée si étrange qu’il faut en fait la renverser : on ne s’interroge jamais sur le sens de la vie que parce qu’on ressent une profonde insatisfaction devant la vie telle qu’elle est, devant le fait que les choses soient comme elles sont et simplement comme elles le sont. Qui se satisfait des biens, des services et des idées de consommation courante n’a pas à se poser la question cruciale : la vie a-t-elle sens et si oui lequel ? la vie est là, qui va de soi, à vivre, au point même que l’idée qu’elle puisse ou ne pas avoir de sens ne vient pas. Manière de dire, je crois, que la question du sens de la vie n’est pas une question abstraite, désincarnée, mais la plus incarnée qui soit, l’incarnation même (si je puis séculariser cette notion de haute théologie) : qu’est-ce que je fais dans cette peau-là et cette peau-là, que fait-elle dans cette époque-là et cette époque-là que fait-elle dans le ce monde-là et ce monde-là pourquoi existe-il plutôt qu’un autre ?
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