La faillite du principe de non-contradiction laisse le champ libre aux charlatans et gourous en tout genre. Le fait que chaque proposition puisse être affirmée et niée et que, de plus, on puisse se référer à une étude qui justifie l’affirmation de la proposition et une autre qui justifie la négation de la proposition, n’ouvre pas une ère de grande liberté intellectuelle, mais bien au contraire de terreur intellectuelle. Nous sommes terrifiés par le langage. Car, le principe de non-contradiction n’était pas un simple principe logique, il définissait un espace sémantique au sein duquel il était possible de se comprendre, c’était une exigence minimale pour que parler veuille dire quelque chose puisqu’on ne pouvait pas, sur chaque sujet, prétendre une chose et son contraire. Si la faillite du principe de non-contradiction ouvre une ère propice au développement des gourous, charlatans et autres escrocs, c’est qu’un tel principe s’accompagnait d’une exigence éthique : de ne pas dire n’importe quoi certes, mais aussi de ne pas utiliser l’apparence de vérité à des fins personnelles ou politiques. L’inanité d’un tel principe autorise désormais l’usurpation de la vérité, le dévoiement des exigences minimales de l’intelligence (au sens notamment de se comprendre), l’exploitation de l’apparence de sens à des fins personnelles ou politiques. Maintenir une telle exigence sans aucun principe sur lequel la fonder relève du défi. Comme jamais auparavant, l’individu se découvre être sa seule source : il n’y a ni transcendance ni fondement et l’immanence est trompeuse, réduite qu’elle est à la communication en temps réel. Il n’y a rien de stable sur quoi me reposer et il est probable qu’il n’y ait personne à qui me confier. Ou bien je mens ou bien je parle dans le vide — imagine-t-on horizon plus déprimant que celui que dessine cette alternative ? Et pourtant, il faut bien que je vive, que je jouisse, me réjouisse. Mais de quoi ? Et pour quoi ? Y a-t-il autre fin que celle que je représente à moi-même pour moi-même ? Autre possibilité que l’autotélie de cette vie-ci ? Une éthique qui ne s’adresse à personne, une esthétique qui ne s’exprime pas, méritent-elles encore d’être tenues pour telles ? Y a-t-il autre oreille, autre regard, autre interlocutrice qu’une communauté imaginaire de pairs en mœurs et en art ?
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