Que faire des tous ces états étranges, intermédiaires, dirais-je (mais entre quoi et quoi ?), où je ne sais si je rêve, dors, végète, imagine, attends, ne fais rien, perds mon temps, invente, consolide une nouvelle sensibilité ? Que faire ? Peut-être rien — ne pas en avoir l’air, en tout cas, ni de l’un ni de son contraire. Au-dessus de la colline de l’autre côté de la mer, une bande de nuages blancs semble accrochée à la crête, au-dessus encore le ciel est gris. Dans la chambre à côté, l’enfant joue. Je me frotte les yeux et quand je les ouvre à nouveau, mes yeux s’attardent sur le plafond. Il est possible qu’il y ait une raison, que les événements n’aient pas lieu par le plus grand des hasards, une raison plus profonde, qui nous échappe et que nous finissons par renoncer de chercher, fatigués que nous sommes de nous heurter aux parois dures que la réalité nous oppose. Il est possible aussi qu’il n’y ait pas de raison, que le hasard ne soit qu’un nom parmi d’autres que nous donnons à ce qui se produit sans règle, sans loi profonde, que nous devions accepter l’indétermination et l’imprévisibilité au lieu de chercher toujours à agir là même où se révèle notre parfaite impuissance. Ce ne s’est pas la réalité qui nous oppose des parois dures, mais nous qui les érigeons chaque fois que nous nous assignons des tâches impossibles à réaliser, nous fixons des buts impossibles à atteindre, nous imaginons des désirs impossibles à assouvir. Sur quoi ai-je prise ? Presque rien. Et pourtant, mon langage est infini : je peux saisir d’immenses complexités, décrire des scènes qui n’existent pas, déclarer des flammes qui brûleront des millénaires après que j’aurai été consumé. L’impuissance fantasmatique à laquelle je me résigne, c’est ma tristesse, ma dépression nerveuse, mon inadéquation à moi-même, l’écart qui se creuse entre l’image de moi qui pourrais jouir et ce moi que je suis et qui tremble qui en est la cause. Une phrase ne fait pas le tour du monde. Certes, non. Ce n’est pas à cela que servent les phrases. À quoi servent-elles, d’ailleurs ? Pourquoi employons-nous un langage de malheur, de contrainte, de haine, de police ? Je peux chanter un air qui résonnera longtemps après moi. J’entends la voix de l’aède mort depuis des millénaires et je la comprends. C’est la mienne de même. Je parle.

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