La phrase que je viens d’écrire dans le cahier éclaircies est une question : Mais si tout est fini, si tout est mort, que reste-t-il à faire ? ce qui n’est peut-être pas une question parfaitement bien posée, mais je ne sais pas si elle pourrait être mieux posée, aussi l’ai-je posée comme ça, enfin, ce n’est même pas moi qui l’ait posée, elle s’est posée toute seule, et les questions posées ainsi ne le sont sans doute pas dans les meilleurs termes, mais elles font partie des meilleures questions, des questions qui ne se posent, des questions qui s’imposent. Pourquoi ce mauvais jeu de mots ? Je ne sais pas. Je ne sais pas non plus répondre à la question posée. J’essaie d’être au milieu des choses, de me lever tôt, de courir, de manger correctement, de lire, d’écrire, toutes choses qu’on peut appeler un régime : j’essaie de diriger ma vie, ce qui n’est pas sans poser de problèmes, parce que je ne peux pas agir comme si j’étais seul au monde, comme si je ne subissais tout un ensemble de contraintes plus ou moins désagréables, plus ou moins faciles à accepter, plus ou moins difficiles à comprendre, j’essaie d’être au milieu des choses, c’est-à-dire : j’essaie d’être au milieu de moi. Ce n’est pas une métaphore, ou du moins, si c’en est une, il faut s’efforcer de la littéraliser au maximum. La position que j’adopte par rapport aux choses qui m’entourent est la même que celle que j’occupe par rapport à moi-même. Les positions de surplomb, de distance, d’infériorité, de supériorité, etc., que je puis adopter par rapport au monde sont les mêmes que celles que j’occupe par rapport à moi. Elles ne sont pas symétriques, elles sont identiques : il n’y a pas de différences. Ce qui signifie notamment que, en sens inverse, il n’y a pas de différences entre les positions que j’adopte par rapport à moi et celles que j’occupe par rapport au monde. Je suis au milieu, c’est-à-dire : il n’y a pas un centre unique, un point d’où tout s’explique, d’où tout se révèle, tout se comprend, tout se voit, il faut s’efforcer de tout comprendre quel que soit l’endroit où l’on se trouve. Ici, c’est partout. Partout, c’est ici. À présent, je regarde le ciel. J’aime cette couleur un peu moins dure d’après l’été, la lumière qui ne brûle plus, mais éclaircit. Je regarde le ciel et laisse passer les bruits qui viennent de la rue, sans les rejeter, sans les juger, sans les accepter non plus, ils sont là, moi aussi. C’est tout. Nous durcissons les expériences en les reliant à de supposées réalités morales auxquelles elles sont étrangères. Ou alors nous nous efforçons de développer des techniques spéciales pour rendre la vie plus acceptable, sentir le flux de l’existence dans un moment d’extase, d’échappée, une position extraordinaire. Erreur. C’est la vie qu’il faut rendre vivable. C’est la vie qu’il faut vivre. Peut-on aller au-delà de cette tautologie ? Encore une question à laquelle je n’ai pas de réponse.

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