Commence par écrire des phrases qui n’ont pas de sens ou alors sans te soucier de leur sens. Meilleure façon de déclencher. Meilleure façon d’enclencher quelque chose — disons de se mettre à penser, à sentir, à écrire. Après tout, qui peut bien être sûr d’avoir quelque chose à dire, avant de l’avoir dit ? Il ne faut pas être paniqué, il ne faut pas être obsédé par le sens. D’une certaine façon, le sens est ton double. Si tu es là, lui aussi, il viendra. Peut-être que la présence suffit, pas besoin d’outils sophistiqués, compliqués, pour partir à la découverte de je ne sais quoi. Tout est là, encore faut-il savoir qu’en faire. L’idée que tu aurais quelque chose à dire te renvoie à toi-même, te fige dans ce que tu es déjà, penses déjà, sais déjà. Or, ce que tu sais, penses, es déjà, il y a de fortes chances pour que ce ne soit pas toi, mais quelque chose d’autre, qui te précède, qui t’a formé, qui t’a fait, fait penser comme tu penses, fait agir comme tu gesticules, fait mentir comme tu respires. Ayant quelque chose à dire, que fais-tu, sinon régurgiter, renvoyer, redire, répéter, refaire ? Rien de neuf, dans ces conditions, sous l’éclairage artificiel du monde tel qu’il est, du monde tel qu’il va, avec ou sans toi, à l’identique. Injonction à être comme il faut, mais c’est quoi comme il faut ? Le plus gros vendeur emporte toutes les mises, et pécuniaire et symbolique. Hier, je ne me suis pas fracassé la tête contre le mur qui me tendait sa résistance et, aujourd’hui, je n’en ai plus envie. Qu’est-ce qui a changé ? Rien. Tout. C’est toujours pareil. Et ce n’est jamais pareil. Si, les yeux ou verts ou fermés, on pouvait voir cela, on pouvait sentir cela, la différence radicale entre deux phénomènes, deux événements qui semblent en tous points identiques, si l’on pouvait ressentir cette différence, pas seulement la concevoir, mais l’éprouver comme une donnée primordiale de l’existence, l’impossible réduction de l’existence à des schémas qui lui préexistent, la nécessité de toujours tout refaire, de toujours tout reconcevoir, de toujours tout ressentir, non pour le plaisir de changer, ni de recommencer, encore moins au nom d’une certaine idée du progrès, simplement parce que il n’y a pas d’expérience que je ne fais pas, tout ne serait-il pas transformé, si au lieu d’agir comme toujours, comme tout le monde, j’agissais pour sentir les vibrations du monde, jusques aux plus infimes, tout ne serait-il pas transformé ? Le plus gros remporte la mise. N’y a-t-il pas de quoi désespérer quand la variété de l’univers se trouve réduite à cette affirmation indiscutable ? Le plus gros remporte la mise. Et les autres se nourrissent de ses rejets. Qui a dit qu’il ne fallait pas être en phase avec la réalité ?

Vous devez être connecté pour poster un commentaire.