21.2.21

On peut tout reprocher aux évidences, mais évidemment pas de s’imposer d’elles-mêmes. Comme celle-ci que je ne pourrai sans doute pas vivre loin de la mer, qu’elle m’est une forme de nécessité vitale externe, comme une origine liquide, amniogénèse, même si le mot n’existe pas. Conception banale (de par sa nature, non son objet) mais qu’il m’a semblé devoir énoncer aussi simplement que possible. Quand je dis la mer, je ne pense pas toutefois à la mer en général, mais à ce littoral-ci, une bande de terre finalement assez étroite et peu étendue entre ici et un peu plus au sud. Mais ailleurs, non ? Cela, je ne saurai le dire, il faudrait tout d’abord en faire l’expérience. C’est vrai que, certains jours, je hais cette ville. Comme il est vrai que, certains jours, aussi, je hais toutes les villes. Ou que je n’en hais aucune. Mais ce n’est pas une question de géographie, c’est une question d’atmosphère. Hier, circulant dans la ville, les différences apparaissaient sensibles : visuelles, auditives, olfactives, certes, mais avant cela, simplement une sensation ou un sentiment, une impression qui anticipe sur la pensée, qui pense avant que tu commences de penser, avant que tu puisses dire en une phrase ce que tu ressens. C’est un vaste problème de savoir si l’on peut penser hors la langue, et ce n’est certainement pas ce que je veux dire ou le contraire, ce que je veux dire, c’est que les rues se faisaient sentir avant que tu n’aies conscience de les avoir senties. C’est donc que quelque chose se passe d’abord que tu identifies ensuite. C’est le réel, si tu veux, et le réel souvent est impalpable, insaisissable, léger et fuyant comme le climat ambiant. Mon atmosphérologie me précède. Tout comme ma thalassologie. N’allons cependant pas nous imaginer des sciences spéciales ou régionales. Non, je dirais plus modestement (et plus véritablement) que ma pensée de l’atmosphère (et de la mer) me précède, précède ma pensée. Que suis-je au fond sinon un animal qui sent, flaire, hume l’air, perçoit des vérités auxquelles la conscience n’a pas encore accédé ? Et cet animal que je suis n’a-t-il pas toujours un temps d’avance sur moi-même, ne me trace-t-il pas la voie dans laquelle ensuite je vais m’engager, ne pense-t-il pas mes pensées avant qu’elles ne me viennent, ne sent-il pas mes sensations avant que je les appréhende ? Immergé jusqu’au mollet (température de l’eau circa 12°C), les chairs se tendent, les veines se resserrent. L’enfant joue libre. Je la regarde avec l’impression qu’elle marche sur l’eau. Éclat de sa beauté.