Multiples idées. Peut-être que mon organise en sécrète tant pour multiplier (bis) les chances qu’il y en ait une au moins qui aboutisse à quelque chose. Mais cela ne va jamais sans une certaine frustration : la conscience enregistrant la différence entre le nombre d’idées eues (noté m) et le nombre d’idées abouties (noté n), elle semble se concentrer uniquement sur les échecs (noté e), obsédée qu’elle est par le résultat de l’équation m-n=e, obsession qui lui interdit de percevoir que l’organisme, pour sa part à lui, a d’autres plans, plus vastes, lui interdit de comprendre que l’organisme est plus intelligent que la conscience, plus rationnel qu’elle. Façon de dire, en passant, que la nature est plus rationnelle que la culture, l’individu plus intelligent ou rationnel que la société. Ne faudrait-il pas dès lors court-circuiter la conscience ? Mais la conscience n’est-elle pas un produit de l’organisme ? Oui, c’est un épiphénomène linguistique du fonctionnement de l’organisme, lequel ne serait jamais devenu autre chose que cet épiphénomène, quelque chose qui survient cependant que l’organisme fonctionne (respire, digère, marche, pense, parle, etc.), si la société ne s’était pas développée jusqu’à l’hypertrophie, jusqu’à inscrire dans la conscience de ceux qui, par suite de cette hypertrophie, ne sont plus personne sinon ses membres, que tout est déterminé socialement. Énoncé absurde, certes, mais qui prend valeur de vérité dans une société surdimensionnée où les individus se voient assignés des places strictement définies, des rôles sociaux dont ils ne doivent pas sortir. Plus la société est imposante, et moins l’émancipation n’a de sens pour les individus, à tel point qu’elle change de sens pour ne plus signifier que l’adhésion aux valeurs du groupe social auquel l’individu appartient. L’individu, dès lors, n’en est plus un, ce n’est qu’un membre. Le corps social métaphorise le corps de l’individu (mon corps) pour en faire un membre de l’organisme qu’est le groupe social, la société. L’individu devenu membre perd totalement de vue la possibilité qui est toujours la sienne de s’affranchir du groupe parce qu’il ne se voit plus que comme membre, pas comme individu, plus que comme partie de l’organisme, pas comme organisme lui-même, tout. Multiplier les idées pour en trouver une qui me désolidarise du groupe. La haine de l’originalité n’est-elle pas, d’ailleurs, une pure conséquence de l’hypertrophie de la société ? Multiplier les idées pour en trouver une qui puisse me donner envie de dire moi la montrant du doigt. Pas le moi social noyau dur d’une identité qu’on m’attribue ; — un moi qui succède aux œuvres, se confondant avec elles et leurs effets sur moi et sur le monde.

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