Désir de dissolution. L’individu s’anéantit de son propre chef dans l’appareil administratif de l’État. Dans une société sans norme transcendante, le comble du paradoxe n’est-il pas que chacun aspire à être reconnu comme normal ? Mais que faire de cette inflation des normalités ? Faut-il donc ne jamais douter de ses désirs ? Et puis, qui peut bien encore vouloir être tenu pour normal dans une société où tout s’avère prétexte à une parodie affolée de guerre civile ? Qui peut bien vouloir être érigé en règle universelle d’un monde qui produit chaque jour la quantité accablante de son propre malheur ? Et que faire de ce monde, non : que faire dans ce monde où le summum de l’honneur et de la gloire consiste à passer à la télévision ? Pour y échapper, je pars en courant. 10 kilomètres hier. 8 aujourd’hui. Cadence plus rapide. 20 secondes de moins par kilomètre parcouru. L’erreur étant sans doute de revenir. Mais non, je n’ai pas envie de fuir. En un sens, tout est parfait. Il s’agit simplement de trouver (découvrir ou inventer) ce sens. Très bien, me dis-je, mais n’est-ce pas là consentir à se résigner ? Peut-être. Peut-être pas. L’erreur n’est-elle pas surtout de nous envisager comme détachés, à part ? Alors que nous participons, faisons partie d’un tout infini. Musique déconcertante des choses. Stéréophonie. À droite, des travaux. Machines qui, du matin au soir, pour le deuxième jour de suite, découpent le bitume en morceaux. Doivent demeurer là-dessous les vestiges enracinés des vieux pins tronçonnés l’an dernier. Devant moi, la fenêtre est ouverte sur la colline derrière les barres de béton. Et les oiseaux, de part et d’autre. J’essaie de m’approcher de la baie vitrée fermée pour prendre en photo ces deux-là qui viennent de se poser sur la rambarde du balcon. Mais quand je m’approche, ils s’envolent. Logique instincive de l’espèce. Même pacifique, l’une est toujours la prédatrice de l’autre. Musil : « Friedenthal leva mélancoliquement les bras au ciel. « Vous êtes folle ! s’écria-t-il avec une impolitesse attristée. — Il faut en avoir le courage si l’on veut redresser le monde ! Il faut qu’il y ait de temps en temps des hommes qui ne participent pas au mensonge général ! » affirma Clarisse avec véhémence. » (HSQ, 2, 1066)

Vous devez être connecté pour poster un commentaire.