24.2.21

Rêves étranges, ces dernières nuits, dont il ne me reste que des éclats, fragments disséminés dans la veille, entre adresses à un être qui n’existe probablement pas, lamentations en vain, et souvenirs confus. Si j’ai noté celui de la nuit du 11 au 12 février, je n’ai pas pris la peine de le faire pour ce qu’il reste des rêves des deux dernières nuits. Pourtant, il m’en reste des traces (absurdes), mais il vaut peut-être mieux qu’elles se diluent dans la masse d’images, d’idées, d’informations qui s’accumulent dans la conscience des jours, plutôt que de conserver quelque chose qui ne me concerne pas, mais un être plus vieux que moi, plus daté que moi, qui doit mourir, qui est déjà mort sans doute. Quelle responsabilité ai-je envers mes existences passées ? Ce que je puis dire, c’est que je ne m’en sens aucune. Je ne suis pas les mois que je fus. J’essaie de trouver des façons pas trop insensées, pas trop inutiles, de vivre les jours qui viennent ; — que ferais-je de ceux qui viennent de s’écouler ? J’observe les fétichistes du passé, de la mémoire, des souvenirs, éternels nostalgiques, interminables victimes, et je ne comprends que trop bien la jouissance qu’ils tirent du ressouvenir, de la douloureuse réminiscence, de l’apparence de purge à laquelle ils soumettent leurs vies en revivant traumatismes, joies, bonheurs, déceptions, et ainsi de suite. Mais pourquoi devrions-nous demeurer qui nous fûmes, qui nos ancêtres devinrent, pourquoi la vie qu’ils s’inventèrent, ou qu’ils héritèrent tout bêtement, faudrait-il que nous la vivions sans fin, la transmettant à ces êtres que nous mettons au monde et que nous rendons coupables avant même qu’ils sachent parler ? Ce n’est pas de drames dont ces êtres ont besoin, non, mais d’outils, pas de mémoire, non, mais d’un esprit capable de se tourner de tous côtés, d’envisager toutes les faces de la vie, tous les visages possibles, tous les visages imaginables, au lieu de vivre la pâle et frigide existence de qui n’en finit plus de radoter. Apprendre à oublier. Ou à trouver des ressources différentes dans le souvenir. Car, il faut bien faire quelque chose de ce qui a eu lieu, bien trouver un dénouement à ce qui nous est arrivé, un autre élan, de même. À présent, une épaisse couche de brume se répand sur la ville. Comme dans un rêve, ou quelque mauvais film. Déjà, les barres de béton au pied de la colline disparaissent. Bientôt, il ne restera plus rien de ce paysage, qu’un oiseau blanc et noir pourtant.