Comment faire pour ne pas succomber à la colère, la rage, la haine ? Non qu’il faille renier ces sentiments, ils font partie de ce que nous sommes, mais comment faire pour ne pas nous laisser submerger par eux, pour ne pas les laisser nous dissoudre entièrement, et conserver assez de force pour aimer, observer, penser ? Dans le parc zoologique en quoi nous avons transformé le monde, y a-t-il encore une place pour des sentiments comme ceux que je ressens, pour les pensées comme celles que je pense, pour les images comme celles que j’essaie de percevoir, c’est-à-dire : y a-t-il encore une place pour celui de qui ce sont les sentiments, les pensées, les perceptions ? C’est vrai que tout me pousse à croire que non, et pourtant, je suis là quand même. N’est-elle pas singulière, cette pensée ? Que je n’ai pas ma place au monde et que, pourtant, je sois déjà au monde, et que ce soit cette existence-ci qui me fasse douter d’elle-même, de sa justification, pour le dire en des termes qui manquent peut-être de précision. Fatigué aujourd’hui, pris froid hier, alors, au lieu de courir, je sors marcher un peu, cueille quelques fleurs jaunes pour Nelly avec qui j’ai été injuste hier. J’ai tort de retourner l’injustice dont je suis victime contre elle, mais je me retrouve dans ces moments-là si désemparé que je ne sais que faire de ce qu’il m’arrive, me demandant si tout cela a un sens, et n’en trouvant aucun, pas même absurde, pas même délirant, ou alors tellement ignoble qu’il fait douter de la notion même de sens. Je ne cherche pas à me racheter. C’est simplement une pensée qui prend forme dans ces petites fleurs qui poussent là, sur l’arbre de l’autre côté du muret en bordure du chemin.

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