Est-ce que si la paix du monde était plus bruyante, elle serait plus désirable aussi ? La paix du monde, laquelle contient la paix de l’âme. Je n’étais plus retourné à mon poste d’observation depuis plusieurs semaines. Quelques marches de béton au bout d’une plage artificielle, laide, où je m’assois au milieu des choses, des gens — au milieu de l’être. Le plus fascinant, c’est qu’il n’y a rien à voir, que l’ordinaire, la banalité du monde tel qu’il suit un cours qui semble inaltérable alors même qu’il court à sa perte. (Est-ce bien le cas ? On le dit, parfois, mais je ne sais pas). Enfants qui jouent, vieil homme au téléphone qui parle trop fort pour ne rien dire, entraîneur dressé dans son bateau pneumatique à moteur qui encourage de jeunes canoéistes, mère qui prend sa fille en photographie, femmes voilées qui se saluent en tapant leur poing l’un contre l’autre. Pourquoi les hommes ne sont-ils jamais voilés ? Je me pose la question, mais je n’ai pas la réponse. Quand je regarde la photographie que j’ai prise de ce que je voyais de là où je me trouvais, tout me semble lointain alors que tout était si proche, si réel, si là. Faut-il s’étonner que la vie nous semble irréelle ? Tant nous avons mis de distance entre elle et nous. Est-ce le fruit d’un absolutisme des principes (de plaisir, de précaution, que sais-je encore ?) ou une peur de notre nature qu’une longue évolution a fini par produire ? La fatigue me rend calme, ou les oreilles bouchées, je ne sais pas. Je traverse un monde auquel il me semble que je suis indifférent tout en lui appartenant totalement. Est-ce une contradiction ou simplement, bêtement, les choses telles qu’elles sont ? La mort de Philippe Jaccottet m’a ému. Pourtant, je n’étais pas un grand lecteur de sa poésie (y remédier), mais ses traductions de l’œuvre de Robert Musil ont tellement compté dans ma vie : la lecture des Journaux, des Essais, et puis bien sûr de l’Homme sans qualités (au bout duquel j’étais enfin parvenu le 24 février) ont joué un rôle décisif dans ma formation intellectuelle. Et elles compteront encore, je le sais. Toujours la mort, mais qui sait si l’essentiel — parfois — ne survit pas ?

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