3.3.21

Ne rien comprendre au monde, est-ce un signe de débilité ou de santé mentale ? À moitié une question rhétorique. Disons que je ne peux pas comprendre qui pense avoir compris. Mais de quelle compréhension parles-tu ? Des choses simples ou d’une compréhension plus grande, plus profonde ? Tout. Tout ceci : les choses simples comme les plus profondes sont le monde. Ce matin sur la plage, univers gris sale. Mais ce n’est que la couleur extérieure des choses, qui rayonnent malgré cette antilumière froide. Une petite fille vient demander si elle peut jouer avec Daphné qui répond oui et lui demande comment elle s’appelle. Je les regarde jouer dans le sable. Que devient cette simplicité ? Qu’advient-il de la facilité avec laquelle on entre dans le monde ? Disparaît-elle ? Et si oui, où va-t-elle ? Sont-ce nos corps qui, vieillissant, se sclérosent ? Est-ce que nos croyances se durcissent, s’ossifient jusqu’à former des superstitions à l’aune desquelles tous les phénomènes sont interprétés ? Ce que l’on appelle une compréhension du monde. En fait de compréhension, des habitudes de penser, des manies, des tics, des associations qui, à force d’être répétées, semblent naturelles et nécessaires, des idées de plus en plus fixes,  mais de moins en moins d’intelligence : on attribue à tous les phénomènes une nature immuable, mais on se dépouille de tout naturel. L’existence tout entière n’est plus qu’un immense rite dont on ne comprend pas le sens mais que l’on accomplit quand même parce que, sans lui, ce serait le monde qui n’aurait plus le moindre sens — le rite est l’unique véhicule qui permette d’accéder à un monde de plus en plus lointain auquel on est de plus en plus étranger. On choisit d’omettre des données au profit d’autres et l’on hypostasie cette sélection pour en faire la réalité. Alors que nous sommes quoi ? Beaucoup d’eau, un peu de chair : la même étoffe cousue toujours de la même manière.