Couru 8 kilomètres. Désormais, quand je n’en cours pas 10, j’ai le sentiment d’avoir failli. Étrange bête que l’individu occidental tel que nous le connaissons aujourd’hui, non ? Des siècles d’entraînement à la culpabilité l’ont rendue si sensible qu’elle sursaute à l’idée d’une faute qu’elle aurait pu commettre (envers elle-même, envers les autres, n’importe qui, n’importe quoi), et que l’affirmation de son innocence ressemble toujours à la transgression d’un tabou, ou d’une loi écrite dans son code génétique même. Étrange bête, en effet, qui se conçoit comme séparée et qui, de cette sorte de promontoire ou de purgatoire, le point de vue variera selon l’endroit où elle se situe sur la courbe que décrit le cycle des crises qui scandent son histoire, légifère inlassablement sur tout. Pourtant, cette séparation semble récente. Quand Aristote, par exemple, écrivait que ἄνθρωπος φύσει πολιτικὸν ζῷον, il affirmait peut-être la nature politique de l’être humain, mais avant tout une continuité naturelle entre les êtres vivants. Car, ζῷον, en grec, cela signifie moins l’animal comme nous, nous l’entendons, ce que plus tard on appellera « les bêtes » pour leur demander si elles ont ou n’ont pas une âme, que ce qui vit, autrement dit : « “animal” par opposition à ce qui n’est pas animé ; dit des plantes, mais aussi de l’homme », comme l’écrit Chantraine. D’animal, donc, ici, il n’y en pas, mais de la vie, oui. L’être humain fait de la politique, certes, mais c’est avant tout un ζῷον comme les autres. Si nous ne nous concevions plus comme séparés, nous sentirions-nous moins coupables ? En attendant de répondre un jour peut-être à cette question, il faut que j’appelle ma belle-mère pour lui souhaiter un joyeux anniversaire. Entêtant retour du réel dont on ne parvient jamais à se débarrasser tout à fait.

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