5.3.21

Si facile en effet de culpabiliser l’individu quand la faute est au fondement même de la civilisation occidentale. Faute, simple état psychologique réifié en péché, lui-même élevé à la dignité d’origine du plus lointain de laquelle on exige et obtient de l’individu qu’il fasse repentance, génuflexion, et innombrables gesticulations. Rituels accomplis d’une existence assujettie. Au lieu de professeurs d’innocence, se multiplient ainsi les directeurs de conscience qui, sous des dehors réputés toujours nouveaux et contemporains, ordonnent interdictions et obligations. Interdictions et obligations d’autant plus malsaines et délirantes qu’elles s’immiscent dans chacun des aspects de l’existence : ce dont on parle et la façon dont on le dit, ce que l’on mange, la façon dont on se déplace, la façon dont on fait l’amour, la façon dont on se reproduit, son rapport à l’histoire, qu’elle soit universelle ou familiale, — partout plane l’ombre d’une inquisition qui s’institue en tribunal total et d’autant plus brutal qu’il transcende les lois humaines. Mais qu’est-ce qui nous terrifie donc tant dans la possibilité de notre innocence ? Non pas une innocence partielle, j’entends, laquelle limite la responsabilité à nos seuls actes, non pas une innocence légale, mais une innocence originelle. Qu’y a-t-il de si terrifiant dans l’innocence qu’elle soit insupportable à la conscience humaine ? Ouvre-t-elle un vide immense que la faute, l’interdit et l’obligation de la coulpe viennent combler ? Remplissage tout négatif, certes, mais qui permet de regarder ailleurs, les yeux rivés sur le mal que je ne cesse de faire, moi en tant qu’individu, le mal que nous cessons de faire, nous en tant que peuples, nous en tant qu’espèce. Faute infinie parce qu’il se trouvera toujours un mal ou un autre dont on se pourra accabler. Et pourquoi sommes-nous si peu nombreux à professer l’innocence, le devenir, la légèreté, qui sont tout sauf insouciance et indifférence, mais nouveau rapport aux choses et aux êtres, nouvelle relation à l’univers dont nous ne sommes pas séparés (qui peut s’ériger en législateur et juge sinon celui qui est distinct de ce sur quoi il légifère et juge ?), mais dont nous sommes — tout simplement ? Étant fait de même que tout, les différences s’estompent. Ce qui ne signifie pas qu’elles n’existent pas. Il est possible même qu’elles soient la condition qui rend possible la beauté, le génie, l’invention, etc. Mais elles surviennent sur un continuum dont il faut être conscient pour trouver le juste rapport : le rapport d’accord.