13.3.21

Dans le parc, je croise deux enfants voilées qui font du patin à roulettes. La plus jeune doit avoir sept ans tout au plus, la plus âgée, une dizaine. Elle porte une tenue rose pâle. Je ne me retourne pas pour les suivre du regard, je continue de marcher vers mon but. Une fois atteint, je m’assois sur les marches habituelles. Non loin de moi, un homme se déshabille, enfile un pantalon ample, puis se dirige vers le rivage, s’arrête à quelques mètres et là, face à la mer, commence à faire des mouvements énergiques et rapides d’une gymnastique dont je découvrirai ensuite qu’elle prélude à un kata solitaire de karaté. Un peu plus loin, j’entends un chien qui aboie. Un berger allemand qui, malgré la distance me séparant de lui, me semble gros. Il crie après un homme en pantalon de jogging qui porte une sorte de sweat-shirt à capuche. J’ai l’impression qu’ils se battent, que le chien le mord. Les deux amis de l’homme au jogging (l’un est en jogging lui aussi, l’autre en short) tentent de calmer le chien sans grande conviction, ou du moins sans beaucoup de sympathie pour celui qui vient d’être mordu. Le chien s’est calmé à présent, et celui qui semble être son maître lui caresse le flanc (c’est parce qu’il lui caresse le flanc que je suppose que c’est son maître) cependant que l’homme au jogging montre l’endroit où le chien l’a mordu. Ensuite, il enlève son sweat-shirt, s’examine, paraît constater que tout va bien, se rhabille. Les deux autres le regardent avec peu d’intérêt. Il est clair que le maître préfère le chien à l’ami. Je voudrais lui donner tort, mais je n’y parviens pas. Pas plus que je ne parviens à vrai dire à lui donner raison. Dans mon petit carnet noir, je note ces saynètes pour mon poème avant qu’un jeune homme vienne m’interrompre suivi d’un autre homme, un peu plus âgé. Tous les deux me posent la même question. Je réponds en souriant. Même s’ils m’ont interrompu, je ne leur en veux pas. Cet espace appartient à tout le monde. Il n’est pas à moi, je me contente d’en faire un usage temporaire. Quand je partirai, quelqu’un d’autre viendra, qui prendra ma place. Me faisant cette remarque, je me souviens de cette écrivaine célèbre qui expliquait je ne sais plus où que le fait d’interrompre une femme dans son flux de pensée en lui adressant la parole dans la rue était une forme de harcèlement. Je fais une recherche, retrouve la source de la citation, fais une capture d’écran, copie le lien, note la référence exacte. Morale communautaire : ne pas penser en tant que personne douée de raison, mais toujours à travers le prisme de ma différence (sexe, genre, race, religion, etc.) Sur la petite table à côté du fauteuil beige ou j’écris assis en tailleur, la Dialectique de la Raison d’Horkheimer et Adorno, dont j’espère qu’il me permettra de comprendre cette destruction de la raison et la nature de la violence autoritaire qu’on inflige à l’individu tout en prétendant le libérer. Mais prétend-on encore libérer l’individu ?