20.3.21

La machine est formelle : j’ai couru 50,3 kilomètres cette semaine. Quant à savoir à quoi la machine sert, sinon à mesurer des activités liées au mode de vie en grande partie absurde des Occidentaux dont je suis, que je le veuille ou non, activités qui n’avaient le moindre sens pour mes ancêtres plus ou moins lointains, ou n’en ont sans doute pas aujourd’hui non plus pour des individus appartenant à d’autres civilisations que la mienne, la question me semble pouvoir recevoir une réponse simple. Mais ce n’est pas elle qui importe. Ce qui importe, c’est plutôt la question de savoir pourquoi l’on, non : pourquoi je me sers d’outils qui ne servent à rien. À moins que ces outils, ces machines, et autres appareils abstraits qui rythment nos existences ne servent pas à rien, mais servent à produire du rien. C’est-à-dire que, littéralement, ils ne sont pas inutiles (ce qu’ils seraient s’ils ne servaient à rien), leur utilité est la production d’un rien qui fasse diversion, l’invention d’une multitude d’activités qui occupent l’espace et le temps, nous mobilisent, attirent notre attention sur rien. Machine à fabriquer du néant. La machine de Pascal s’est retournée contre elle-même : son fonctionnement entier est destiné à nous détourner du néant qui est le nôtre, à produire du divertissement. À remplacer le néant qui est le nôtre par un néant qui ne nous appartient pas et nous masque le néant qui est le nôtre. La machine rive notre attention sur ce qui ne nous concerne pas, une vie par elle élaborée qui n’est pas la nôtre, mais avec laquelle nous acceptons de la confondre. Me faut-il consentir alors à l’obésité pour échapper à cela ? Ici, la dimension personnelle de l’interrogation rejoint sa dimension générale : que je le veuille ou non (bis), c’est ainsi que le monde est. Je peux bien espérer le changer, mais je ne peux m’exiler. L’utopie est à ce prix.