L’identité est la grande supercherie du XXIe siècle. C’est l’idéologie puritaine de nos temps modernes, laquelle s’assure à grands coups de tests que les gens sont dans la norme, obéissent aux dogmes qu’on fabrique pour eux. Autotests de moralité. Immense machine à décérébrer, à remplacer toute possibilité de penser par des idées préconçues. Comme si je me levais le matin en me disant que je suis un homme, et que je suis blanc, et que je suis hétérosexuel, et que je suis, et que je suis quoi ? je ne sais pas, tout cela le suis-je vraiment ? je ne le crois pas, faut-il alors que je le sois ? qui peut m’y obliger à part moi ? qui veut m’y obliger ? Impératif catégorique pour terroriser des peuples qui, n’ayant plus de dieu que l’argent, sont incapables de se faire une façon de penser. Américain, langue d’experts comptables. Est-il étonnant qu’on veuille réformer le français ? Langue de poètes, de moralistes, de philosophes, d’épistoliers, de fabulistes, de dramaturges, langue du carnaval de la raison, langue de l’orgie de l’ordre, langue suspecte parce qu’elle permet de s’affranchir de la norme par le nombre infini de ses subtilités, de ses nuances, langue qui s’est formée avant la démocratie pour échapper au pouvoir autoritaire, de la sentence implacable à la phrase interminable. Mais c’est quoi, la langue pour ces gens qui entendent la réformer (alors qu’ils devraient d’abord se demander s’ils y entendent seulement quelque chose) ? Un moyen de communication, rien de plus, pas un outil pour se libérer, mais un truc qui sert à faire passer des messages, sans différences fondamentales entre le tweet et le roman, si ce n’est que l’un est un peu plus lisible et l’autre rapporte beaucoup plus d’argent dès lors qu’il est bien dans la norme. Mais tout ce qui diverge, tout ce qui désire l’irréductible, tout ce qui s’efforce de s’émanciper, de fondre les canons avec lesquels on fonde les canons, — tout cela est mis à l’index. Avant tout, il faut que ça rapporte. Que ça paie. Toujours le cash flow l’emportera sur la conscience et son flux. Ça ruisselle, mais les sources se tarissent. Et bientôt ne couleront plus que les larmes taciturnes de qui surveille sa pulsion avant même de l’avoir. Ciel bleu presque trop blanc. Nord-ouest force 6 à 7 avec des rafales à 80 km/h. Même les oiseaux semblent vouloir rester à l’abri. Le vent souffle si fort qu’on sent le béton vibrer. Trembler.

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