Si la distinction entre le sens et le non-sens allait de soi (qu’est-ce qui nous prouve d’ailleurs que ce n’est pas le cas ?), est-ce que les gens choisiraient toujours le sens et jamais le non-sens ? Tous les efforts que je fais pour rester concentré, parfois, il me semble qu’ils ne servent à rien et que c’est ceux que je ne fais pas qui permettent à quelque chose de se produire. Mais alors ne suis-je pour rien dans ce que je fais ? Que l’objet involontaire d’un flux qui échappe à ma conscience avant que, soudain, quelque chose devienne clair ? Je suis pour quelque chose dans le fait de courir, par exemple, dans l’action tout autant que dans sa régularité, c’est-à-dire, et tout ce que je puis faire, c’est me donner à moi-même des règles. — Et les suivre. — Et les suivre, en effet. Car, de quoi m’aperçois-je ? Dès que je ne les suis plus, ces règles, tout déraille, je ne sais plus ce que je fais ni pourquoi, je me sens submergé par des vagues d’angoisse contre lesquelles il me paraît que je suis impuissant. Le suis-je vraiment ? Un pied devant l’autre un pas après l’autre : comment se fait-il que, deux jours plus tard, cependant que rien dans la situation telle qu’elle est observable n’a changé, plus rien ne soit le même que deux jours auparavant quand tout allait mal, quand je ne savais plus qui j’étais ni pourquoi, quand je me retrouvais avec un immense point d’interrogation à la place du nez au milieu de la figure, impossible de se voir en peinture dans ces conditions, impossible, non, et tant mieux. Mais ne pas pouvoir se voir en peinture, on sait à quoi cela conduit — la maladie, la folie, le meurtre, la mort —, rien de bon n’en sort jamais. D’où la nécessité de la peinture. Peut-être est-ce bien cela que je veux dire. Peut-être est-ce bien cela que je cherche à formuler. Je laisse la machine compter les signes sans me relire, ensuite je me relirai sans compter les signes. Faut-il lutter contre la machine ? Pose-toi autrement la question : quand la machine n’est-elle plus un outil ? quand deviens-tu un outil au service du projet qui commande à la machine ? Un peu comme si tu te demandais : quand n’es-tu plus obéi, mais obéissant ? Étant entendu que tu es obéissant dès le moment que tu n’obéis plus à toi-même, mais aux désirs, aux volontés d’un autre plus ou moins grand que toi. Étant entendu que tu deviens obéissant dès lors que tu n’as plus qu’un accès médiatisé à ta propre personnalité, dès lors que c’est le Parti, l’État, la Communauté, le Dieu, la Race, la Société (peut-être pas la peine de continuer la liste jusqu’à son épuisement) qui seul détient l’accès à la personne que tu es et la médiatises pour toi. On te révèle à toi-même. Dès lors, tu ne te vois plus en peinture non plus, simplement l’image à laquelle on t’enjoint de ressembler. On a un nom. Pas la peine de dresser la liste la liste exhaustive de tous ses noms d’emprunt, et qui partagent tous les mêmes traits de l’impersonnalité.

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