Je suis un raté. Un raté imbécile et alcoolique. Et, au lieu de me saouler jusqu’à ne plus savoir ce que je dis, jusqu’à ce que, dissoute la censure dans l’alcool, tout sorte de moi sans plus filtre ni médiation, il faut que je me pardonne, me pardonne d’être banal, d’être simplement cet être que je suis, pas très beau, pas très grand, pas très intelligent, pas très intéressant, cet être que je suis qui n’aura jamais le prix Goncourt, c’est un autre Jérôme qui l’a eu, pas moi (cf. 8.3.17), qui n’aura jamais rien du tout, vivra cette vie qui est la sienne jusqu’au moment où ce sera trop tard pour garder encore espoir, trop tard même pour avoir des regrets, un raté imbécile et alcoolique qui ne réussira jamais rien de sa vie, mais qui se refuse à transmettre cette incapacité à ne rien faire qu’échouer à sa fille, il faut que je me pardonne pour ne pas continuer à échouer sans fin, pour changer le destin qui s’accomplira inéluctable si je continue comme ça. Comme ça, comme quoi ? À me détester, je suppose, à faire le contraire de ce que je dois faire, à être le contraire de qui je dois être, de qui je voudrais être, à ruiner des heures d’efforts en un claquement de doigts, à tout gâcher, à tout gaspiller, à tout détruire, à commencer par moi. — Cette page, je l’ai écrite hier. Depuis, j’ai songé qu’il faudrait l’effacer. Mais je ne le ferai pas. Il faut que je dise toute la vérité. Que faire d’autre ? Quel autre désir avoir ? Tout le reste ne devrait-il pas s’effacer devant cette exigence ? Pourrait-il, d’ailleurs, en exister une autre ? Parfois, il me semble que je pourrais croire en la vérité d’une proposition comme celle-ci : Les choses qui doivent arriver arrivent parce qu’elle ne présuppose ni n’implique l’existence d’aucune volonté agissante, d’aucun dessein à l’œuvre, sauf que, moi, il faut bien que j’ai un dessein pour vivre et si mon dessein ne correspond aux choses qui arrivent, dois-je me dire que les choses que je désire ne font pas partie de celles qui doivent arriver ou bien que c’est la vérité de la proposition qu’il faut mettre en doute ? Les choses qui arrivent arrivent, mais celles qui n’arrivent pas ? Question de temps. Question de temporalité. On juge toujours le passé (ce qui permet à une quantité incroyable et toujours croissante d’imbéciles d’entretenir l’illusion qu’ils sont intelligents), mais moi, ce n’est pas le passé qui m’intéresse, le passé révolu, je le leur laisse aux directeurs de conscience, aux confesseurs de l’humanité. Ce qui m’intéresse, c’est la vie. Qu’est-ce que je fais à partir d’ici ?

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