Après être allé courir ce matin, je me suis senti étonnamment bien, comme si j’étais libéré de quelque chose. Sans savoir de quoi j’étais libéré, c’est ce que j’avais envie de dire, et cette formule bien qu’inexacte, parce que, en observant les choses attentivement cela ne ferait pas le moindre doute, aucun des problèmes dont je pense qu’ils se posent à moi n’ont été résolus vraiment ces derniers jours, cette formulation me sembla plus précise que son apparence grammaticale, elle me sembla juste. Libéré : je n’aurais pas su dire de quoi je l’étais, mais je l’étais, et peut-être est-ce cela, la vraie libération, une libération qui n’est pas une libération de quelque chose, mais une libération en soi. Je marchais dans le ciel gris de ce vilain printemps qui paraît chaque jour un peu plus inutile — quand il sera fini sans avoir réellement commencé, l’été l’incinérera d’ailleurs sans remords —, je marchais après avoir couru et je me sentais léger, simplement léger. Relisant je ne sais combien d’années après l’avoir lu pour la première fois le rouge et le noir tout en relisant une nouvelle fois sans non plus savoir pour combien comptait cette énième fois la vie sociale, il m’est apparu clairement que mon Jérôme suivait le parcours inverse de celui du Julien de Stendhal, qu’il rêvait de quitter Paris pour ailleurs quand Julien ne rêvait que quitter Verrières pour Paris. L’eussé-je tracé de la sorte, ce mouvement, si j’avais été conscient de son inversion au moment d’écrire le roman ? En tout cas, il est là, ce déplacement romanesque, dans son rapport à la modernité qui le précède et dont il chante une manière réjouie d’ultime élégie. Est-ce à dire, comme une incidente, qu’il faut être inconscient ? Ce serait une injonction paradoxale, mais comment la formuler autrement ? Il faut laisser la place à quelque chose de sauvage au cœur même de la civilisation, pas une horrible réserve naturelle, poche de raison au sein de la folie universelle, mais laisser inculte un arpent de la plus grande culture, où l’histoire peut se faire toujours. D’où vient, de même, ce besoin de me réconcilier : avec moi-même, avec certaines personnes, une notamment dont j’ai rêvé récemment, avec le monde ? Du même endroit, mais d’où ? Est-ce seulement un endroit ? Et puis : est-ce que tout va s’apaiser soudain ? Ai-je besoin d’apaisement ? Rien à voir : la société ne peut pas tenir face aux revendications minoritaires, mais cela ne signifie pas qu’elle va s’effondrer, elle risque au contraire de se renforcer, de devenir plus dure. Qu’elle se disloque ou se durcisse, l’individu se sent toujours broyé. Rien à voir : « le capitalisme n’a pas d’esprit » (noté hier soir dans le cahier au bison rouge, pas envie de recopier le développement sommaire de cette idée qui suit la phrase).

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