24.5.21

Pas envie. J’ai eu beau me dire hier que ce n’est pas pour le lendemain, mais pour le jour d’après, et puis aujourd’hui pour demain, que j’ai encore le temps, donc, c’est ce que je voulais me dire, cela ne change rien, je n’ai pas envie, ou plutôt : j’ai envie du contraire, je désire une réalité autre que celle qui se prépare, ce qui ne signifie pas, je crois, pas tout à fait, en tout cas, ce qui ne signifie pas que je n’aime pas cette réalité-ci, mais que j’en aimerais mieux une autre, légèrement différente de celle-ci, pas beaucoup à peine, une réalité dans laquelle cet événement à venir ne viendrait pas, où je n’aurais pas fait ce mauvais choix d’accepter ce travail sous-payé, et j’ai beau me dire aussi que c’est eux qui sont malhonnêtes, pas moi, l’ayant accepté (parce que, quand on me l’a proposé, il m’a semblé que je ne pouvais pas faire autrement que de l’accepter, ce qui était une erreur, et l’acceptant, je le savais déjà, tout l’avenir de ce projet n’aura fait que confirmer ce que je pensais, preuve qu’il faut que j’accepte de m’écouter vraiment), je justifie cette malhonnêteté : n’est-ce pas le destin du lumpenprolétariat de justifier la domination par la domination, de justifier la position des dominants par la position des dominés ? Il pleut. Il me semble que j’aurais dû commencer par là et m’y tenir, et ne rien écrire d’autre. Il pleut. J’ai l’estomac noué, du mal à respirer, et ne puis écrire les phrases simples, les phrases vraies qui ne me sauveraient pas de l’inquiétude, non, mais me feraient voir l’autre visage de la réalité. Celui que j’aimerais mieux. Quelques mètres plus bas dans le monde, un parapluie vert fluo attire mon attention puis disparaît. Je fixe un point de l’espace que je ne vois pas. Les gouttes qui tombent en diagonale sont presque invisibles. La ville se dessine sur le fond d’un horizon gris. Ce matin, après l’enfant, c’est le bruit de la pluie qui m’a réveillé. J’étais en train de rêver que quelqu’un nous poursuivait, moi et le groupe auquel j’appartenais dans le rêve, quelqu’un nous poursuivait, armé d’un fusil à lunettes, et nous, pour lui échapper, nous trouvions refuge dans une sorte de bâtiment dont l’intérieur était en bois clair (je crois me souvenir que le bois sentait bon). C’est le bruit de la pluie qui a mis fin à ce rêve stupide et grossier. Je survivrai, cela ne fait aucun doute, mais cette absence de doute ne répond pas à la question que j’ai envie de me poser : un jour viendra-t-il quand je n’aurai plus à survivre, simplement à vivre ? Depuis quelques jours, une phrase me revient sans cesse. Marchant à l’instant sur le petit chemin qui me reconduit à la maison, je me suis dit Lâche l’affaire, et c’était exactement ce qu’il me semblait que je devais faire. J’ai cherché une meilleure formulation, mais celle-ci était suffisamment claire pour n’en pas appeler une autre. Je ne ressentais plus cette gêne à l’estomac, tout n’était pas résolu, non, mais tout était mieux. Depuis quelques jours, une phrase me revient sans cesse. À 43 ans, je décidai de changer de vie.