Ai même oublié qu’il aurait fallu aller voter hier. Si je m’étais rendu aux urnes (selon l’expression consacrée), qu’est-ce que cela aurait bien pu changer ? L’idée de faire son devoir serait peut-être moins absurde si le devoir était différent. Et encore — pour disposer de quelque chose comme d’une conviction, il faudrait une dose d’illusion telle que, qui en serait victime, nagerait en plein délire. Me souvenant tout à l’heure de cet oubli, j’ai eu la tentation de chercher à m’informer de la situation créée par ces millions d’irresponsables qui ont toutefois cru bon de se commettre, mais je n’en ai pas eu la force. Que m’aurait-il fallu pour l’avoir ? Le sens du devoir, probablement. Son absence chez moi n’a rien d’idéologique, mais alors d’où vient-il ? Mieux vaut ne pas trop chercher à répondre à cette question, ne pas enquêter sur le genre d’affaissement qui conduit à lui. Parce que cet affaissement, ne faudrait-il pas que je constate qu’il est aussi le mien, que je ne suis pas étranger à l’affaissement de la société ? Affaissement, je crois que c’est le mot qui convient, plutôt qu’effondrement, qui dénoterait le brusque, le tragique, le violent, le brutal. Or ce que nous vivons n’a aucune de ces qualités-là, c’est mou, c’est sans vie. Sur les affiches qui présentent les gens pour qui il faudrait aller faire son devoir, les visages ont toujours le sourire, peut-être parce qu’ils savent que, si personne ne votait pour eux, ils seraient tout de même élus. Et puis, tant qu’on sourit sur les affiches, ça va. Bientôt quelqu’un viendra qui ne sourira pas, et alors il sera trop tard pour s’inquiéter.

Vous devez être connecté pour poster un commentaire.