Si les pages de ce journal ne reflètent pas mon état d’esprit, de qui le reflètent-elles ou de quel esprit sont-elles le reflet ? Sont-elles le reflet d’un autre esprit que le mien ? Mais à qui appartient cet esprit et comment se fait-il que ce soit moi qui m’en fasse le reflet ? Manqué-je à ce point de personnalité, d’originalité, d’esprit ? La notion de reflet est trompeuse, certes, mais ce n’est pas réellement ici que se situe le problème, plutôt dans cette impression, dirais-je, que ce qui me vient à l’esprit, parfois, souvent, comment savoir ? que ce qui me vient à l’esprit n’est pas à l’unisson de ma vie. Alors d’accord, ne pas être à l’unisson ne signifie pas exactement la même chose que ne pas être en harmonie, mais ces remarques grammaticales sur les métaphores malheureuses que j’emploie me semble faire diversion. C’est-à-dire que, si ce que je pense ne se trouve pas en accord avec ce que je vis, que me faut-il faire : changer la façon dont je pense ou changer la façon dont je vis ? Changer les deux ? Tout est possible, après tout, et c’est vrai que, après tout, je m’en fous pas mal de l’état du monde, et je m’en foutrais encore plus si je n’étais pas le père d’une petite fille qui allait devoir vivre dans un monde sans doute pire encore que celui que nous connaissons aujourd’hui et qui n’a lui-même plus grand-chose à voir avec celui dans lequel j’ai grandi. Évidence. Un constat de ce genre est un symptôme du vieillissement, de mon vieillissement, certes, comment pourrait-il en être autrement puisque l’on ne peut pas ne pas vieillir ? Mais pas uniquement, il y a quelque chose d’autre que j’essaie de mettre à jour, parfois, et parfois, pas du tout, parce que je n’en ai pas l’énergie ou tout simplement pas le désir et que, certaines des pages que je consacre à mon époque, à sa bêtise, etc., certaines de ces pages qui me font penser à des parodies plus ou moins assumées plus ou moins volontaires plus ou moins conscientes des aphorismes de Minima moralia, sans doute parce qu’elles leur sont bien inférieures, me semblent impuissantes à accomplir ce qu’elles voudraient pouvoir accomplir. Mais qui a dit que la littérature, cette notion étant comprise dans son acception la plus large, qui a dit que la littérature avait un quelconque pouvoir ? Peut-être est-ce ma littérature qui est impuissante, tandis que la littérature d’autres ne le serait, qui vendent des livres, ont une influence, comptent, peut-être est-ce moi qui suis impuissant et mes livres sans force. Peut-être.

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