Le monde est un parc d’attractions pour les nations d’obèses. Courses de voiturettes dans les allées de Chambord : vision parfaite de la démocratie moderne. À la caisse, allant payer sa glace, un type fait tomber sa petite cuillère en bois par terre, s’en apercevant, une jeune fille se baisse, la ramasse et, avec la plus élégante des discrétions, la plus charmante des politesses, la plus touchante des timidités, la lui tend pour la lui rendre, ce à quoi, se rendant enfin compte de son existence (celle de la jeune fille, pas de la cuillère), le type répond qu’il n’en veut pas puisqu’elle est tombée par terre. Aristocratie à taux zéro. Un monde peuplé d’obèses ou de connards ; — ultime alternative de notre époque. Et après ? Faut-il seulement qu’il y ait quelque chose après ? Qu’une époque vienne après la nôtre ? Ne sommes-nous pas parvenus au bout ? Le château, dis-je à Daphné, je le trouve laid, squelette de pierres sans âme, avec une histoire, mais pas de passé, j’entends : pas de patine, de l’usure et non de l’usage, il me laisse indifférent, comme une prouesse sans âme, quelconque, là, mais nulle part. De fait, je ne sens pas grand-chose en ce moment, sans parvenir à savoir exactement qui est à blâmer pour cette anesthésie : le monde ou moi ? Faut-il seulement désigner un coupable ? Dans la cosse de l’artiste contemporaine, de macabres stades de l’évolution d’un hideux fœtus tiennent lieu de petits pois. Sain rapport à maternité. Partout dans les salles de cet étage du château de monumentales œuvres, qui me semblent sales tant elles dégoulinent des murs sur le spectateur estomaqué, qui se demande interloqué ce que cela peut bien faire là. Et lui de même. Faut-il vraiment que tout espace se transforme en lieu d’exposition ? Comme si le monde, en lui-même, n’était pas assez lourd à porter. J’envisage de chercher le nom de l’artiste et puis y renonce, préférant le laisser tomber dans mon oubli. Finalement, songeant à mon moi futur, lequel regrettera peut-être ce choix, je me ravise, lance une recherche, et trouve : Lydie Arickx. Quand il prend connaissance de cette information, lui qui se moque éperdument de ce que pensera mon moi futur, c’est mon moi présent qui me déteste de lui infliger la connaissance de ce nom. Avant de partir, je dis à Daphné : « On peut s’amuser sans être vulgaire. » Le peut-on ? Désormais, toute prise de connaissance sera une perte de connaissance. Ou : toute prise de conscience est une perte de conscience.

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