Pluie fine et sans interruption sur Tours. Étonnant 27 juillet. Mais je ne voudrais pas d’un autre temps. Celui-ci, en effet, ne se réduit pas à cette science journalistique à laquelle l’humanité semble vouer un culte télévisé, informatisé, la météorologie ; il y entre plus de psychologie que de pression atmosphérique, psychologie tout extérieure, car cela existe, qui se porte sur soi, question de vêtement, d’attitude, une disposition d’esprit qui ne se trouve pas enfermée dans quelque boîte crânienne, mais se montre au dehors. Pluie fine et sans interruption, donc, qui accompagne mes pas dans les rues de la ville, en direction des halles. Je ferme réflexe les boutons de ma veste, remonte un peu le col, puis les rabaisse, défait un ou deux boutons, me demande dans quel monde je vis, à quelle époque, au gré de quelle saison. Merveilleux déplacement de l’été dans l’automne qui semble épouser celui qui, du XXIe siècle, conduit dans un livre au début du XIXe, balzacien par excellence. Hier, en fin d’après-midi, j’ai couru une heure (soit un peu plus de dix kilomètres), activité passablement XXIe, à travers le jardin botanique puis d’une rive à l’autre de la Loire, les ponts qui les relient formant comme une géographie automatique de mes déplacements, une organisation spontanée de ma translation, une structure a priori de ma mobilité, tout ça (les grands mots y compris) pour revenir au point de départ. Je regarde la carte qui me tient lieu de souvenir de ces mouvements sans intérêt (en dehors de l’action qui les trace, ils n’ont strictement rien de mémorable) et y découvre une manière de quasi symétrie, l’espace se dessinant de façon régulière sous mes pas. Je traverse le fleuve comme je saute par-dessus le XXe siècle pour lire et pour écrire. La laideur du bâtiment qui obstrue la vue en face de la fenêtre de la chambre où j’écris est de la même couleur que le ciel gris pâle au-dessus de lui, me dis-je, voyant passer cette mère de famille voilée, deux enfants à sa suite, tous la tête baissée vers le sol pour s’abriter de la pluie. Je ne m’attarde pas sur ce paysage désagréable qui semble nier l’impression sur laquelle j’ai commencé cette page et me demande, en outre, pourquoi j’en prends note s’il est tout juste bon à être oublié. Tout à l’heure, quand j’irai courir, me dis-je encore, mais il n’y a rien pour terminer cette phrase. Elle s’achève ainsi, pas même un suspens, un trou d’air, peut-être, une disparition nulle, pas grand-chose. Pas de bruit dans la pièce la porte fermée si ce n’est le bruit des touches du clavier où je m’acharne sans parvenir à quelque chose d’aimable, de désirable, de beau. Je consigne des bribes décousues d’une vie où il ne se passe rien. Je n’élabore rien, je me contente de suivre un cours insensé — privé de tout sens — auquel je me sens étranger : je sais que c’est ma vie, mais cette connaissance n’est confirmée par aucun sentiment, n’importe qui pourrait la vivre, cela ne ferait pas la moindre différence, si peu ai-je l’impression de l’habiter. Mais, je me pose la question sans avoir la réponse, mais si je n’habite pas, où habité-je ? Peut-être dans ce journal, d’où ma tristesse (dont je pourrais tout aussi bien dire qu’elle est liée à une légère fatigue, au temps gris et pluvieux qu’il fait, à d’autres choses encore, mais je fais des choix) : simulacre d’existence.

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