Qu’est-ce qui est vrai ? Pas une théorie de la vérité, sinon comme décitation, tout au plus, mais qu’est-ce qui est si présent que l’on puisse s’y fier ? Qu’est-ce qui, sans demeurer, nous tienne en haleine, donne désir d’exister ? On dit : « Le temps passe » et, sans doute, est-ce la vérité, comme le ciel qui s’obscurcit, son averse en trombe avant l’éclaircie. Se fier, se tenir dans le tumulte sans le refuser, sans l’omettre ni le nier, en l’accueillant sans qu’il nous détruise, nous confie au néant. Tout n’est que néant, est-ce vrai ? J’essaie de me souvenir à quelle occasion j’ai dit à Daphné, hier, cette phrase de Nietzsche : l’homme (Mensch, pas Mann) aime mieux vouloir le néant que ne pas vouloir du tout. Il avait été question de la pierre de Spinoza qui, jetée par une main distraite, s’imagine qu’elle est elle-même au principe de son propre mouvement, s’imagine qu’elle est libre. En rapport sans doute avec quelque sujet d’actualité, nous avions pu ainsi distinguer des points de vue, des perspectives, mettre en évidence la différence entre s’imaginer être soi-même la cause de son propre mouvement, ce qui revient, croyant être libre, à ne l’être pas, et connaître les causes par lesquelles nous sommes déterminés à agir, connaissance sans laquelle nous ne saurions être libres. Et sans doute, s’agissait-il de faire entendre, de faire sentir l’abîme qui sépare les gesticulations de nos contemporains d’actions réelles. Jamais en vain. N’est-ce pas alors la preuve, je reviens après mon détour à ma négative affirmation, n’est-ce pas la preuve que tout n’est pas néant, que quelque chose peut être vrai ? Mais quoi ? Mes poèmes me semblent vrais et, quand même ils ne le seraient pour personne d’autre que moi, cela n’annulerait en rien la force dont ils sont porteurs, la vitalité parfois douce parfois dure parfois tendre parfois cruelle qui est la leur, que je veux pour eux. Ne pouvant me résoudre à tourner en rond dans ma tête comme tous ces gens qui se font les prisonniers d’eux-mêmes, ne pouvant faire de moi cet être faux pour qui le langage ne serait pas la pointe la plus extrême qui permet de piquer au vif la vérité, mais un instrument dans une illusoire conquête du pouvoir, une langue mensonge, j’élabore, pour détruire toutes les stratégies, des phrases simples, des phrases folles, aux sons inouïs, aux formes inconnues. En cela consiste le vrai, me dis-je enfin, me résolvant à tort à l’évidence de conclure.

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