28.8.21

Le matin, ce sont des nonnes en habits bleus et blancs qui passent et, le soir, de jeunes adolescentes en vêtements minimalistes qui viennent se saouler et rouler par terre sous mes fenêtres, Borgo Serena. Est-ce à dire que les vierges ivres de la nuit seront les sobres religieuses du matin ? Insoupçonnables métamorphoses de l’humanité. À Daphné qui, en l’église San Giovanni Evangelista, me dit Nelly, a fait le vœu de vivre en Italie, je dis quelque chose que je n’avais peut-être pas encore compris de façon si claire : que nous aimons l’Italie pour autant que ce n’est pas la France, pour autant que nous n’y vivons pas. Comme s’il y avait une sorte de loi proportionnelle entre le désir de l’une et la vie de l’autre. Mais non, Daphné ne croit pas en Dieu, les miracles lui paraissent des choses irrationnelles. J’ai beau lui dire que c’est précisément ce qu’ils sont, un peu comme par définition, cela ne la convainc pas. Alors je lui demande si elle est polythéiste, et elle me répond que oui. Les mythes sont des μύθοι, des histoires, donc, cela ne fait aucun doute dans son esprit, ce sont des fictions, mais les miracles recèlent quelque chose d’autre, une réalité qu’elle ne semble pas vouloir accepter (exactement, si j’ose faire ce rapprochement vulgaire, exactement comme elle n’a jamais cru au père Noël). Chez quel auteur ai-je lu que le polythéisme était la religion spontanée des enfants et le monothéisme, une religion plus mûre, plus adulte ? Je ne parviens pas à m’en souvenir. Est-ce ainsi que l’on s’explique la croyance en l’irrationnel chez les esprits éclairés, par cela qu’il faudrait faire un effort pour s’élever à la possibilité du surnaturel ? Ivresse des ruelles contre ivresse des cieux, non, je ne peux pas résumer les choses ainsi. Et pourtant, n’est-ce pas le même appel, le même désir d’un dépassement de la conscience ordinaire qui motive l’ébriété et l’ascèse ? Il y a quelque chose d’insupportable dans le monde matériel dont la matière même exige qu’on s’en affranchisse. Et, du moment que l’on souffre, du moment que l’on jouit, tous les moyens sont bons. Nunc et in hora mortis nostrae. Amen.