1.9.21

« Music is forbidden in Islam », déclare un taliban à un journaliste du New York Times, mais pourquoi, cela nous ne le saurons jamais, le journaliste n’ayant pas posé la question au taliban. Ou s’il l’a fait, il aura gardé la réponse pour lui. Peut-être n’a-t-il pas osé, de peur de l’offenser, qui sait ? Nous avons la tête enfoncée si profond dans notre postmodernisme décolonialiste inclusiviste que nous n’avons même plus l’énergie de demander à nos interlocuteurs quels sont leurs arguments en faveur de leurs affirmations. Nous nous contentons de juxtaposer des opinions sans la moindre critique et déplorons ensuite que la barbarie prenne le pouvoir. Est-ce étonnant ? À Philippe Descola, dont j’ai découvert avec stupéfaction hier qu’il pensait que notre cosmologie était « la cosmologie la moins aimable » qui soit, j’aurais voulu demander quels étaient ses arguments en faveur de l’assertion, conséquence logique de ses propos cosmiques, selon laquelle la cosmologie des talibans est plus aimable que la nôtre, mais aurais-je obtenu une réponse ? À cette femme couverte de tissu de la tête aux pieds, à l’exception remarquable du minimal ovale règlementaire, qui faisait sa prière dans le jardin public vers la fin de l’après-midi d’avant-hier, à chacune de ces deux jeunes femmes qui se sont installées à côté de Daphné et moi, ce matin à la plage, bonnes bourgeoises qui s’occupent des enfants, et qui à trente-cinq ans à peine en totalisaient déjà sept, j’aurais voulu dire le patriarcat, c’est toi, mais que cela m’aurait-il valu, des insultes, au mieux ? Je ne sais pas. Et puis après tout, quelle importance ? Tu peux raconter n’importe quoi, les gens ne t’écoutent pas. Et même si le mal germe et croît dans l’absence de doute, même si nous sommes tous des menteurs antisceptiques, ce n’est pas la vérité qui compte, les dominées le demeurent et les dominants font ce qu’ils savent faire, des concours de domination. Personne n’en a rien à faire des conséquences logiques de ses assertions, des conséquences morales de ses agissements, il s’agit de jouer la comédie qu’on s’est donné pour but de jouer, la bonne musulmane, la bonne épouse, l’intellectuel bien-pensant (en ce qui le concerne, c’est à celui qui ira le plus loin dans la haine de soi, c’est ce qu’on attend de lui) : on enferme la signification de l’existence entre ces murs étroits, assurance d’une vie réussie. Prenant mon chemin de traverse un peu avant une heure de l’après-midi, après être allé transpirer toute la bêtise grasse de mon humanité, je pensais à tout cela, c’est vrai, malgré la chaleur et la sueur. À tout cela, et à ceci, me suis-je dit, que la religion musulmane est supérieure à la nôtre, je veux dire aussi : à notre absence de religion, non parce qu’elle tend à l’hégémonie, ni parce qu’elle défend des propositions absurdes, ou que la femme y est dominée, mais parce qu’elle a encore assez de force et de vitalité pour contrôler les corps, ne pas les laisser aller à la dérive, donner du sens aux actes, ritualiser le quotidien. Nous, qui ne sommes pas assez forts pour être irreligieux, parce que nous n’avons pas la vitalité nécessaire pour nous donner à nous-mêmes nos propres règles, souffrons terriblement de ce manque de religion, nous cherchons dans les pratiques les plus irrationnelles, les plus superstitieuses, les rites adossés au néant, l’ascétisme sans transcendance, le travail qui n’ouvre à nul salut, la sexualité réflexe, de quoi combler ce vide. Et ne l’y trouvons pas — qu’un vide encore plus grand. Est-ce étonnant ?