7.9.21

Le fait de ne plus s’étonner de rien n’est pas un signe de bonne santé mentale. Au contraire, c’est un signe de déchéance. Comme face à l’image de ce type qui emploie une expression empruntée au récent vocabulaire du football pour lancer sa campagne électorale à la présidence de la République. Avant (mais quand ? — je ne sais pas, je le dis sans y croire vraiment, renvoyant à une hypothétique époque, tu sais, c’est ce que les cyniques à qui on ne la fait pas te rétorquent toujours, avec leur infaillible esprit de système, cette époque n’a jamais existé, tout a toujours été pourri), avant, on se serait attendu à une chute comme il s’en donne dans les sketches de mauvais goût, mais non : l’invasion de la culture populaire est totale, tout est réduit à ces formes, formulations foncièrement imbéciles, l’élite devançant les désirs de la plèbe en lui jetant sa nullité à la figure, nullité dans laquelle elle s’immerge elle-même devenant par là même son milieu naturel à elle aussi. Aussi, désirant une gloire dont je sais que je ne connaîtrai pas mais que je désire quand même, j’ai conscience que toute gloire est ordurière, a trait aux déchets, aux rebuts aux excréments, à qui aime s’y vautrer. Au milieu du brouillard triste dans lequel j’ai avancé sans savoir où j’allais durant toute la journée, quelques lueurs : les épreuves de Morton Feldman à Middelbourg dont j’ai commencé la lecture ce matin, et les premières pages des Philosophische Untersuchungen de Wittgenstein, que je reprends, lentement, esquisses de paysages, la forme de la phrase épousant la nature de la recherche, dit-il dans la préface dont je n’avais jamais perçu ce qu’elle avait de touchant, d’émouvant, d’élégiaque presque, dans cette espèce de fragilité et de beauté simple avec laquelle il introduit à son ouvrage. Impression d’une dureté enveloppée dans une grande douceur, comme des cailloux dans une bourse en soie. Je m’installe dans les marges du livre, où je griffonne, et circule entre les langues — ma traduction du new-yorkais de Feldman, l’autrichien avec version british en regard de Wittgenstein, et le sicilien solaire de Tomasi di Lampedusa. Pluralité des langues que j’associe dans mon esprit à l’Europe — synonyme lumineux d’un polyglottisme général qui demeure l’un de nos rares espoirs, non d’y survivre, mais d’en finir avec la barbarie.