Si l’ami est un autre soi-même, si le voyant, c’est soi-même que l’on voit, un peu comme en un miroir, certains jours, je me trouve d’une laideur repoussante. Me dis-je, mais cela n’a pas vraiment d’importance ; comme le déclara un jour Thomas Bernhard à l’occasion du discours de réception d’un prix que sa patrie lui remettait : Alles ist lächerlich, wenn man an den Tod denkt. Maxime qu’il faudrait se tatouer sur l’avant-bras ou quelque part dans le genre, si toutefois la pratique du tatouage n’était pas fondamentalement répugnante, pour n’oublier ni que l’on va mourir ni que la pensée de la mort par comparaison à elle rend tout comique, risible, absurde, insignifiant, dérisoire, tout dépend la façon dont on choisit de traduire l’adjectif lächerlich. Solution radicale au problème de la vie, la prendre par la fin rend la vie à une espèce de nullité dont on se débarrasse dans un haussement d’épaule. Je ne sais pas s’il y avait beaucoup d’espoir dans le ton de Bernhard, et là n’est pas la question, à vrai dire, mais d’un certain point de vue, cette risibilité de la vie ne la rendrait-elle pas supportable ? Le pire étant à venir et certain, tout ce qui se déroule entre l’instant qu’il nous est donné de vivre et l’instant quand il ne nous sera plus donné de vivre doit se prendre à la légère. Mais ces considérations m’éloignent du sujet dont je voulais traiter aujourd’hui : moi. Et les décisions prises auxquelles j’essaie de me tenir sans vraiment y parvenir sans vraiment échouer. Quelque chose bouge, ai-je envie de dire, preuve que le cadavre est encore loin, c’est-à-dire : tout semble s’ouvrir quand même tout semble fermé. (À ajouter à ma collection de paradoxes.) Quelque chose tremble et c’est dans cette vibration que quelque chose apparaît. Par quelle suite dans les idées en suis-je venu à penser ce midi, seul attablé devant ma salade de tomates, à Paul McCartney et à l’espèce de vide désespérant qu’il devait ressentir, à l’approche de la mort ? Considérant tout ce qu’il pensera avoir accompli de son vivant, se dira-t-il : J’échangerai toute cette gloire, toute cette grandeur, tout, pour quelques instants de plus en cette vie ? Tel est notre drame : nos meilleurs sentiments viennent trop tard et, s’ils viennent si tard, ce n’est pas qu’ils n’auraient pas pu venir plus tôt, mais qu’ils ne sont pas sincères. En qui ou en quoi croyons-nous ? Nous-même, une enfant, une lueur rougeâtre dans un ciel qui n’existe pas, une déité sublime et qui nous ignore, le destin, — rien ?

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