23.9.21

Je suis allé acheter un pantalon aujourd’hui. Le pantalon que j’ai acheté ne correspondait pas à l’idée que je me faisais du pantalon que je voulais acheter, pas tout à fait, mais c’est celui-là que j’ai acheté, pas à cause de l’écart entre la réalité du pantalon et son idée, mais parce que c’était celui qui m’allait le mieux. Quand je suis rentré chez moi avec mon pantalon, je l’ai essayé, j’ai passé une chemise, des chaussettes, mis une paire de chaussures que j’ai l’intention de faire ressemeler parce qu’elles sont belles mais un peu abîmées, la veste que Nelly m’a offerte pour mon anniversaire, un ou deux accessoires de plus, et, quand je me suis regardé dans le miroir, je me suis dit que c’était à cette personne que je voulais ressembler, ce qui tombait bien parce que cette personne à qui je voulais ressembler, c’était moi. J’ai fait ces essayages, un peu ridicules comme tous les essayages, un peu femme, un peu dandy, et puis je me suis changé pour remettre les vêtements que je portais avant les essayages et ce, quand même, dans ces vêtements, je ne ressemblais plus à la personne à qui je voulais ressembler et que cette personne qui ne ressemblait pas à la personne à qui je voulais ressembler, c’était moi. Moi aussi. Ensuite, j’ai préparé une salade tomates pour mon déjeuner. J’ai mangé la salade de tomates. Ensuite, je me suis préparé un café avec un carreau de chocolat. J’ai bu le café et mangé le carreau de chocolat. Ensuite, j’ai ressenti un grand vide. Je le précise, mais ce n’est peut-être pas la peine. Cette description, c’est ce que je me dis l’écrivant, cette description de moi ne fait pas de moi un maniaque, non, elle en dresse le portrait. Mais comment vivre autrement qu’en devenant un maniaque ? Tout autre forme d’existence ne conduit-elle pas au laisser-aller le plus déplorable, le plus regrettable, le plus insupportable ? Non, je ne suis pas un maniaque — un maniaque n’aurait pas remis les vêtements dans lesquels il ne ressemblait pas à la personne qu’il aurait voulu être, il ne les aura jamais mis du tout —, je suis un maniaque en idée. Quelle déception. Mais je puis devenir un maniaque. Il me suffit de faire un effort, un tout petit effort. Que, je crois, j’ai l’intention de faire. Ne serait-ce que pour m’amuser, et changer de personnalité. Il faut bien que les choses changent, si elles étaient toujours les mêmes, l’ennui ne serait plus tolérable ; il faut du changement, il faut devenir maniaque pour que l’ennui soit tolérable. D’autant qu’être maniaque, me semble-t-il, ne s’oppose à l’action, la preuve : aujourd’hui, j’ai fait quelque chose que je n’aurais pas fait précédemment, et je me suis senti différent, oh, c’est quelque chose d’insignifiant (j’ai réservé une table dans un restaurant au téléphone), et l’insignifiance de la chose risque de masquer l’importance de l’action, c’est tout le problème, dans les détails se logent les choses les plus fantastiques, les aventures les plus extraordinaires, qu’on néglige trop souvent, cette action insignifiante ne se résume pas à son insignifiance, elle exprime une attitude différente face à la vie, il y avait une manière d’aborder la chose, d’aller en quelque sorte de l’avant, de ne plus se laisser faire par le temps, oh, je sais que c’est ridicule, tout ça pour un pantalon ? tout ça pour une table réservée au restaurant ? oui, mais, cette action n’est pas seulement l’action qu’elle est, en termes platonisant, elle est l’instance d’un universel, si l’on veut, on peut voir les choses comme ça, oui. Ce qui change tout. Enfin, je crois.