24.9.21

Considérant d’un œil distrait les nouvelles qui occupent l’espace public et semblent passionner mes contemporains (quelle drôle d’engeance), je suis pris d’une irrésistible envie de bâiller. Quel ennui ! me dis-je. J’essaie bien de réagir, mais ne trouve pas la force de le faire autrement qu’en recyclant des idées que j’ai déjà eues et qui ne parviennent pas à me convaincre moi-même. Il faudrait se taire pour toujours au lieu de quoi, comme cette mouche (peut-être la même que l’autre jour, les mouches ayant une durée de vie de 70 jours, je l’apprends), comme cette mouche qui se heurte à la baie vitrée alors que l’ouverture est juste à côté, nous butons contre les parois de notre bocal. Se taire non par passion du silence, mais parce que l’on ne peut même plus changer de sujet. À l’idée imbécile selon laquelle tout a déjà été fait, s’ajoute celle-ci qu’on ne peut plus rien dire, d’où cet interstice infime dans lequel nous nous débattons sans trouver d’issue. Et nous butons et nous rebutons. Quel ennui ! Quel ennui, en effet, que ces êtres sans consistance, figures spectrales qui peuplent nos imaginaires, quel ennui que ces désirs faméliques et leurs antidotes mortifères : quand on avance sur une crête étique, un pas d’un côté ne diffère pas d’un pas de l’autre, tous nous jettent dans l’abîme au fond duquel tout est exactement comme là-haut sur la cime. Le haut et le bas ne se ressemblent pas, ils sont un et le même. Je suis content toutefois de porter mes souliers à ressemeler, une nouvelle vie pour eux qui ont si beaux. J’ai des plaisirs simples, que contrarient à peine le désert qu’est la province : voilà deux semaines que la boutique où je sais pouvoir les trouver doit recevoir une paire de souliers — attente en vain, sentiment de médiocrité, la réalité crasse fait obstacle à la beauté. Songeant à mon passage dans les rues du centre-ville, je me fais remarquer qu’il y a une espèce de fatalisme méditerranéen, lequel me répugne, quelque chose de superstitieux dans les comportements, qui s’exprime, par exemple, quand on dit : « Marseille est sale ». Marseille n’est pas sale. Quand les Phocéens y accostèrent, le sol était-il jonché d’excréments d’animaux, de détritus, de mégots de joints, de bouteilles de bière brisées, tout semblait-il cassé, à l’abandon, détérioré par des mains malhabiles, les murs étaient-ils recouverts d’inscriptions insensées tracées dans des couleurs criardes ? Est-il étonnant qu’il ne reste rien ou presque de la Marseille grecque ? Perdue à jamais, elle s’enfonce chaque jour un peu plus dans le tréfonds de quelques rares mémoires. Marseille n’est pas sale — ce sont les gens qui y vivent aujourd’hui qui le sont, qui manquent de dignité, ne se respectent pas eux-mêmes, se complaisent dans l’image vulgaire que l’on donne d’eux et, pour tout cela, méritent notre plus grand mépris. Tout est parfait. Tout pourrait demeurer parfait, or non, tout est cassé. Irréparable. Pas comme mes beaux souliers bordeaux que le temps a patinés et dans lesquels, bientôt, je pourrais marcher, de nouveau.