25.9.21

À Manosque où, par amour, par dévotion, j’accompagne Nelly qui doit s’y rendre pour le travail, les peigne-culs succèdent aux peigne-culs. Grands tirages suspendus au-dessus de la rue principale de photographies en noir et blanc de gens célèbres en train de lire : Augustin T. dans son bain, Lou D. un micro à la main, Patrick M. jouant à être Patrick M., — meilleur moyen de dégoûter de la lecture. Bien évidemment, le restaurant où j’ai réservé est en partenariat avec le festival et les hôtes et les hôtes viennent y déjeuner en échange de leur ticket repas. Nelly me montre le directeur du festival qui est aussi le directeur de la maison de la poésie, où donc il n’y a jamais de poésie. Et puis, c’est mon ancienne attachée de presse qui vient s’assoir à la table à côté. Moment embarrassant, personne n’ayant envie de parler à autrui jusqu’à ce qu’elle se décide enfin à nous remarquer, Nelly et moi, Nelly surtout, évidemment, et que moi, dépassant les bornes de l’incorrection, je la traite avec le plus souverain mépris (sourire, bonjour, et puis plus rien). À la terrasse comme dans la rue, c’est le défilé. Des éditeurs, des auteurs, des accompagnants en tout genre. On peut admirer Marie D. manger une glace, activité qui semble la déprimer au plus haut point. À quoi bon des siècles d’analyse ? Interminable, évidemment. Laissant Nelly assister à ce à quoi elle est payée pour, la pauvre, nous nous asseyons Daphné et moi à la terrasse des Nuits des Thés, place des Marchands, où, très vite, Laura V. vient s’assoir elle aussi avec son attachée de presse. Elle lui demande comment elle était. Super, évidemment, même si elle, non, feint de ne le croire pas, elle était « au bout de sa life », elle dit, je cite, avec son accent à couper un Catalan au couteau. Je ne fais jamais que citer. Est-ce que rapporter les propos tenus par des gens (plus ou moins) connus constitue une atteinte à la vie privée, à la dignité de la personne ? Quelle personne ? Quelle dignité ? Pressentant sans doute qu’une réponse à la question se trouverait ici, j’avais demandé à Nelly en nous promenant sur la rue principale : Pourquoi est-ce que ces gens ont du succès et pas moi ? Pourquoi ? Pas facile de répondre, pas vrai ? Mais Nelly, elle, sait qui dit : Parce que tu ne veux pas te prêter à ça. Et c’est vrai. Et j’ai tort. Ce n’est pas elle qui le dit, c’est moi. Ce sont eux qui ont raison, pas moi. Quoi de plus sincère, en effet, quoi de plus honnête que de se trouver une cause (les femmes, les Syriens, les migrants, les chiens, les vaches, les homosexuels) et écrire un livre là-dessus et ensuite aller raconter à qui veut l’entendre que le mal ce n’est pas bien, que les méchants ne sont pas gentils, qu’il faut en finir avec la faim dans le monde, le réchauffement climatique, la domination masculine, le racisme, la haine et si, en passant, on pouvait faire quelque chose pour le RER, ce serait super ? J’ai bien conscience qu’écrire ce que j’écris, à supposer que quelqu’un me lise, c’est une sorte de suicide. Il faut respecter les règles du milieu. C’est comme la mafia. Si tu parles, on te descend. Mais que peut faire un écrivain sinon raconter et tout dire sans rien cacher ? Qui ne le fait pas est un escroc.