Cherche ami. Je devrais passer une petite annonce qui dirait à peu de choses près ceci : « Jérôme Orsoni, écrivain, cherche ami, milieu social équivalent ou supérieur, pour moments privilégiés, pas dandy s’abstenir. » Le devrais-je ? — Je ne sais pas si ce serait une bonne idée. Non que tout ce que je viens d’écrire ne soit pas vrai, mais parce que, peut-être, que personne n’aurait envie d’y répondre parce que personne n’a envie d’être mon ami. Tu me diras, c’est ce que je me dis, tant que tu n’as pas publié ta petite annonce, tu ne peux pas savoir si tu as tort ou tu as raison, mais ce n’est pas tout, très vite, un autre problème se soulève : où publier une telle petite annonce, j’entends : de sorte qu’elle ait quelque chance d’être lue par une personne susceptible d’être intéressée, où ? J’étais allé courir et, rentrant de ma course avant de faire mes séquences de gainage et de pompes, je me suis imaginé que ce serait bien d’avoir un ami, un véritable ami, c’est-à-dire : quelqu’un avec qui parler, de tout de rien, peu importe, mais qui partagerait grosso modo le même point de vue que moi sur les choses. Il n’est pas nécessaire que ces deux points de vue (celui de l’ami et le mien) soient en tout identiques, il peut y avoir des divergences, c’est même plus intéressant quand il y a des divergences, mais il faut quand même que le point de vue global, la weltanschauung, pour ainsi dire, que la weltanschauung soit la même, sinon, en effet, très vite, on s’aperçoit qu’on n’a rien à se dire parce que l’amitié reposait en réalité sur un vaste malentendu. Or, des malentendus, j’en ai assez. Et puis, j’entends très bien, tu sais. Il est vrai que la probabilité qu’un tel ami se trouve en la bonne ville de Marseille est assez faible, ce qui compliquerait encore un peu plus la tâche, c’est ce que je me suis fait remarquer, marchant après avoir couru pour rentrer chez moi au milieu des conteneurs poubelles (on devrait dire conteneurs à poubelles, mais il me semble qu’on ne le dit pas, on ne dit plus rien de toute façon, preuve grotesque que ceux qui pensent qu’on ne peut plus rien dire ont tort, on ne dit plus rien du tout) conteneurs à poubelles donc qui débordaient déjà à cause de la grève des éboueurs, rendant par là même Marseille encore plus sale qu’elle ne l’est déjà, plus repoussante qu’elle ne l’est déjà, plus détestable qu’elle ne l’est déjà ; quelle espèce de dandy pourrait bien avoir l’idée de venir s’échouer ici ? Hier, c’est un algorithme qui me l’a rappelé, hier, cela faisait quatre ans que nous étions venus nous installer ici. Et si ce n’est pas en tout une mauvaise idée, il faudrait s’interroger, toutefois, sur la nature de l’esprit dérangé qui a bien pu avoir cette idée saugrenue de venir vivre ici. Comment celui-ci, imbécile parmi les imbéciles, pourrait-il bien se faire le moindre ami ?

Vous devez être connecté pour poster un commentaire.