Pas de force pour rien. Parfois, ce journal me fait l’impression de n’être pas une œuvre, mais un long catalogue de plaintes, des détestations écœurées où percent de rares euphories malades du haut desquelles l’auteur chute. Je n’ai pas travaillé depuis je ne sais combien de temps, mais je ne cherche même pas à, c’est un long catalogue de plaintes et, pourtant, je n’ai pas vraiment à me plaindre, je vis dans un certain confort, sans lequel, d’ailleurs, je crois que je ne pourrais pas vivre. Vivre. Justement. J’ai envie de vivre quelque part de beau, écris-je au moment où la lumière qui soudain illumine le ciel, jaune tirant sur l’orange tirant sur le rose, me tire de mes phrases, j’ouvre la baie vitrée, prends la photographie de ce que je vois, reviens à mon poste d’écriture, quelque part de beau, oui, mais le ciel n’est pas habitable, depuis que les dieux l’ont déserté, et puis la science moderne ne reconnaît même pas son existence. Les gens qui se sont étonnés de l’ordure qui s’est déversée sur les plages et la ville après les inondations de ces derniers jours n’avaient-ils donc rien vu, rien voulu voir ? L’ordure, en effet, ne tombe pas du ciel, c’est le royaume des humains. Je ne sais plus où je lis que 40% des jeunes de 16 à 25 ans n’ont pas envie d’avoir d’enfants et si, d’un certain point de vue je les comprends, au regard de la sacrosainte théorie de l’emprunte carbone je m’étonne toutefois de leur lâcheté — afin de la réduire, pourquoi ne commencent-ils pas par se suicider ? Comme si les enfants s’élevaient seuls, comme si le monde s’inventait seul, comme s’il n’y avait jamais de responsable que l’autre, le vieux, le pauvre, le riche, n’importe qui pourvu que ce ne soit pas moi, ce moi qui doit pouvoir continuer de jouir de sa liberté infinie, de sa sexualité fluide, de son mode de vie égoïste, de sa technologie narcissique. L’angoisse planétaire de façade cache mal l’obésité de ce moi difforme que personne ne veut plus aimer. Il flotte seul dans un océan d’aigreur, de plaisirs sur commande, de désirs fabriqués en série. On se cherche une cause parce qu’in fine on le sait : on ne vaut pas grand-chose. J’ai envie de vivre quelque part de beau, mais ce n’est pas ici ; on ne vit pas dans le paysage. Je consulte des pages d’annonces immobilières où s’affichent des demeures sublimes — oh, rien d’exubérant pour moi, pas de château ni de palais pour moi, simplement quelques mètres carrés de beauté au cœur d’une ville vivable dans ce monde qui en manque cruellement —, sublimes et lointaines où je ne vivrai probablement jamais. Pendant ce temps, au moins, à tort peut-être, mais pendant ce temps, au moins, je rêve.

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