18.10.21

À la télé, un type que l’on présente comme entrepreneur, essayiste et activiste, mais il a été cycliste et chanteur aussi, et sans doute d’autres choses encore, choses que j’ignore, dit au type qui l’interroge et qui acquiesce comme si c’était une parole profonde, que prendre soin de soi, c’est prendre soin de la planète, d’ailleurs il a créé une application pour ça, et la vraie question qui se pose, c’est qu’est-ce que je fais là, moi, à regarder ça, un dimanche après-midi ensoleillé alors qu’il y aurait tant d’autres choses à faire ? Mais ces autres choses à faire, à supposer qu’elles existent, à vrai dire, je n’ai pas envie de les faire. Et peut-être, la sagesse est-elle là, je ne sais pas, je formule les idées telles qu’elles se présentent à moi, c’est comme si je réfléchissais à haute voix, mais par écrit, peut-être que la sagesse est là, au contraire de tous les vendeurs de bonne conscience et de solutions clefs en main pour sauver le monde, — ne plus rien entreprendre. Oui, d’accord, mais alors pas devant la télé. Et pourquoi pas ? La télévision fait partie de la réalité, et je ne puis m’en dispenser : je veux voir le monde tel qu’il est, pas tel qu’il me plaît. Je voudrais le réinventer tel qu’il me plaît, ça, c’est vrai, mais ce n’est pas ainsi qu’il est, pas ainsi qu’il est fait, et puis, je ne veux pas faire comme tout le monde, me fabriquer une microréalité où vivre à ma façon, avec mes semblables de la même couleur de peau que moi, de la même religion que moi, de la même orientation sexuelle que moi, de la même opinion politique que moi, dans une sorte d’immobilité qui s’ignore, microsociétés figées, closes et forcloses. Je veux voir le monde tel qu’il est. Je veux voir comme je l’avais vu quelques jours auparavant un type en insulter un autre en lui disant tu es un facho ce à quoi l’autre répond et toi tu es un con ce à quoi le premier répond et toi tu es un facho ce à quoi l’autre répond et moi je vais te casser la gueule, je veux le voir parce que c’est une image de la société dans laquelle je vis, du monde dans lequel je vis. Hier ainsi, regardant sans en croire vraiment mes yeux, ces deux types imbus d’eux-mêmes enfoncer avec un plaisir ni feint ni dissimulé toutes les portes qui s’ouvraient grand devant eux, je me suis demandé ce qu’il y avait de plus ignoble : le spectacle ou le spectateur ? Eux ou moi ? Mais c’est une question déjà obsolète — à l’ère du faux, il n’y a plus de différence entre le spectacle et le spectateur, entre la réalité et sa représentation, tout peut être converti en n’importe quoi, la vérité ne durant qu’aussi longtemps que dure le laps de temps qui sépare une publicité d’une autre. Qu’est-ce que je fais là ? C’est une question que je me pose souvent, devant la télévision ou ailleurs. Et elle mérite d’être posée. Quand même je n’aurais que rarement la réponse. Je crois qu’il y a plus de vérité dans le fait de lire un texte à haute voix tout seul chez soi sans demander la permission à personne, sans rien exiger de personne, sans se soucier de nulle représentation, dans l’acte pur et simple de faire vivre une langue morte qui dès lors ne l’est plus, dans ce dépassement des choses par les choses mêmes qu’est la vie que dans toutes ces déclarations, prises de position, admonestations, pétitions, manifestations, représentations superposées à des représentations du monde. Et n’est-ce pas ce que j’ai fait hier aussi ? Et je lisais Rabelais.