19.10.21

Soudain (et grand) sentiment d’abattement à l’idée que je ne vis pas où je le voudrais. Mais où est-ce où je le voudrais ? Je n’en ai pas la moindre idée. Je consulte des annonces immobilières où s’affichent des paradis qui excitent mon regard mais découragent mes capacités d’emprunt. J’ai froid. Je ferme la baie vitrée, transvase la soupe de légumes d’un récipient dans un autre plus petit. Il ne faudrait pas se laisser accabler par les contingences auxquelles nous contraint une réalité trop étroite par certains aspects. Je me dis cette phrase sans trop y croire bien que je la tienne pour vraie. Ce matin, j’ai inventé une sorte d’hétéronyme et, lui donnant la liberté de faire ce que bon lui semblait, je l’ai laissé composer un poème qu’ensuite j’ai consigné dans mon carnet. J’ai trouvé cela amusant de noter en son nom quelque chose que ma main avait écrit, mais il m’a fait savoir qu’il n’était pas satisfait de mon travail de copiste, les corrections qu’il a portées sur la page en mon absence en témoignent. Aussi, à mon retour, ai-je pris une feuille de papier volante et ai-je recopié le poème annoté en essayant de ne plus commettre d’erreurs. Ensuite, j’ai laissé la feuille bien en évidence afin qu’il ait tout le loisir d’apporter les modifications qu’il lui semblait opportun de faire. Et comme revenant (j’étais allé dans la cuisine sortir la soupe du réfrigérateur), je trouvai le texte intact, je décidai d’en faire une nouvelle copie au propre dans mon carnet. Tournant la page pour comparer le travail accompli entre ma première copie et la troisième, je me suis aperçu qu’il avait pris soin d’écrire son nom au bas de la page, comme si ce n’était pas moi qui le lui avais donné, ce nom, mais qu’il lui appartenait en propre. J’ai regardé ce nom et je l’ai trouvé beau, plus beau que le mien, en tout cas, me suis-je dit. Faut-il toujours que la créature dépasse son créateur ? Je relis le poème et ne sais si je dois le trouver aimable ou bien le détester.