Je suis comme le temps ou alors le temps est comme moi. D’une douceur un peu molle, un peu grise. Quelquefois, il me semble que la perfection est à ma portée. Ou est-ce que je m’illusionne ? Si j’avais l’illusion de tenir la perfection entre mes mains, aurais-je des raisons de me plaindre ? N’y a-t-il de perfection que dans l’illusion ? Peut-être que la réalité brute, indépendante de nous, à supposer que cela soit possible, peut-être que la réalité ainsi conçue ne peut pas être parfaite et qu’il nous faut sans cesse la faire, la refaire, le monde n’étant pas imparfait en raison d’un défaut qui lui serait inhérent (disons qu’ici j’entends par monde, la réalité telle que nous la refaisons), mais simplement à cause de nos échecs à le rendre tel. L’approche de l’élection présidentielle échauffe les esprits et les rend plus bêtes encore qu’en temps normal. Temps difficiles pour qui aime la vie. Depuis hier, je pense à mon hétéronyme, et je crois que je l’aime mieux que moi. Il est comme je voudrais être et comme je ne le suis pas. Sans doute est-ce normal. Un peu comme si je disais que j’aime mieux ma fille que moi. D’un certain point de vue, cette phrase n’a pas grand sens, mais d’un autre, je la comprends, je comprends le genre de conceptions qu’elle enveloppe. N’est-ce pas cela, d’ailleurs, que devrait évoquer la notion de progrès ? Dans un sens plus profond et plus léger à la fois que celui de progrès technique. Nous avançons. Je relis à haute voix les deux poèmes qu’il a écrits entre hier et aujourd’hui, et je les trouve beaux, plus beaux que les miens, mais je ne suis pas jaloux, non, au contraire, je les désire, ils sont à l’image de sa perfection. J’imagine même la façon dont il est vêtu, ainsi que des fragments de l’histoire de sa vie, ses goûts, ses préférences sexuelles, ses habitudes, son côté agaçant, son inconstance aussi, occasionnelle évidemment, comment il abhorre l’idée de faire profession d’écrire, comme il abhorre l’idée de profession, lui qui a le luxe de se dispenser d’en avoir une. Je me dis que, si je le voyais sur un plateau télé, je le détesterais, mais c’est stupide, il n’est pas du genre qui fréquente les plateaux, les îles plutôt, hors saison, de la Méditerranée.
3.
Pluie sur tes yeux qui sont le monde,
compte les jours depuis que plus.
Je suce tes doigts de terre aride,
et guette la mémoire furtive de l’impiété.
Les dieux sont morts dessous la mer,
statues de corail au sel blanchies,
à-plats de bleu au ciel trop pur,
ton sexe nu est un calice.
4.
Mon image étrange dans ton image étrange
répand son vernis noirâtre sur ton passage
(rémanence lapidaire de lors que nous étions amants).
Automne non pas triste dirais-je, mais
douces langueurs obsédantes et amples.
« Depuis quand me mens-tu ? » interroges-tu pour me brusquer,
et moi je te réponds : « Jamais. »
C’est si long, jamais. Reste encore un peu.

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