Le capitalisme rend heureux. Tous les autres systèmes ont fait cette promesse aux humains, sans jamais parvenir à la tenir, mais le capitalisme, lui, oui, immédiatement, sans distance, sans écart. Le désir se réalise sans attente, à l’infini, la jouissance que procure la consommation d’un bien, d’un service, d’une personne, si elle est par essence éphémère, pouvant se répéter un nombre illimité de fois. Bis repetita placent. On a beau objecter que le bonheur ainsi conçu n’est pas le bonheur réel, mais une forme illusoire de duperie de soi, on aura le plus grand mal à prouver que l’état mental d’un sujet sous Prozac est différent d’un autre sujet qui vient de passer quatre heures à méditer assis dans la position du lotus face à un mur les yeux quasi clos. Et le plus grand mal aussi, qu’il n’est pas plus rationnel de prendre une pilule plutôt de s’esquinter les genoux dans une posture qui ressemble à s’y méprendre à une forme de torture. La médicamentation de l’existence permet d’envisager pour la première fois dans l’histoire de l’humanité, l’absence complète de souffrance, sa disparition pure et simple : plus de douleur, plus de malheur, à la place un immense bonheur que rien ne vient interrompre pas même les vers libres d’un romancier égaré dans le cimetière de la Méditerranée. Envoyez DON par SMS au 9 24 25. Qu’est-ce que le bonheur ? Sacrifier ma vie pour un être qui finira par m’abandonner dans une indifférence ingrate ou changer de partenaire sexuel quand bon me semble pour goûter chaque fois cette joie que procure la nouveauté ? « La nouveauté, c’est mettre la main dans la culotte d’une fille », disait le personnage interprété par Mathieu Amalric dans Comment je me suis disputé (ma vie sexuelle), où l’on entend bien le fantasme que le capitalisme vient assouvir, désir primaire dont l’accomplissement rend heureux, tout bêtement heureux. Ce n’est pas grand-chose, le bonheur, en réalité, mais il est autosuffisant : qui vient de jouir est assouvi et, si court soit ce moment, il est suffisamment proche du néant pour servir de but à l’existence. Car, tout ce que l’être humain désire, c’est le néant, l’absence de distance, de décalage, d’écart entre le monde et moi : quand je possède ce que je veux, ce que je veux ne fût-ce qu’une voiture, une console de jeux, un homme, je fais un avec le monde, le monde obéit entièrement à ma volonté, il l’épouse pleinement. Les autres systèmes promettent aussi cette union entre le monde et moi, mais dans mon obéissance au monde (qu’on l’appelle Dieu, la Science, la Nation, le Parti, ou qu’on lui donne un autre nom, cela ne fait guère de différence), ce qui recèlera toujours quelque chose d’insupportable, le moi rechignant à raison au sacrifice de soi sur l’autel d’autre chose que soi-même. Le génie du capitalisme est de renverser cette balance nihiliste pour la faire pencher de mon côté. C’est moi qui jouis, c’est moi qui consomme, c’est moi qui suis libre. Enfin.

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