23.10.21

Un poème de Rodrigue A. Singleton
5.
Barbarismes sur le dancefloor.
All’erta !
Ici, le bruit de la confusion ne se distingue pas du silence :
il ne révèle rien.
All’erta !
Tout vibre,
tout se dilue,
tout va bien.
Nos euphories sauvages ont la saveur stupreuse des antiques orgies,
quand le philosophe le plus laid allait se coucher le dernier —
ivre, mais profond.
All’erta !
(*) Sur le manuscrit, à la place de « All’erta ! », l’exclamation « Alarme ! » est biffée à trois reprises, sans autre indication que les mots « All’erta ! (Verdi) » à la suite du poème, dont nous supposons donc qu’ils sont destinés à remplacer les mots barrés, le nom entre parenthèse faisant référence à l’opéra de Giuseppe Verdi (1813-1901), Il Trovatore (1853), qui s’ouvre précisément sur ces mots : « All’erta ! All’erta ! ».
Douceur d’automne. Demain, nous irons passer quelques jours en Suisse. Aujourd’hui, je n’ai l’esprit à rien. Hier, j’ai regardé un mauvais film en attendant que Nelly rentre. Pourquoi de telles choses existent, me suis-je demandé, qui ne sont pas assez mauvaises pour être simplement ratées et pas assez bonnes pour être réussies, qui végètent dans une sorte d’entredeux quelconque ? Peut-être existent-elles parce qu’elles sont à l’image de la plupart des expériences que nous faisons : si nous en entreprenions la relation fidèle et précise, nous serions effrayés par l’ennui qu’elles susciteraient et, pourtant, nos vies sont ainsi. Bien que nous supportions nos vies, nous sommes incapables de supporter le récit. Les choses ne sont même pas vraiment laides, la plupart du temps, elles ne méritent tout simplement pas qu’on les regarde, ne méritent tout simplement pas le nom de choses, ou alors dans un sens très péjoratif. Comme les gens : on dit qu’ils sont bêtes, mais même pas, ils sont insignifiants. Sans profondeur, sans âme. Est-il étonnant qu’on réduise peu à peu toutes les questions existentielles à des données neurologiques ? Nous avons tous un cerveau, mais un esprit, est-ce si sûr ?