D’épisode méditerranéen en épisode cévenol, le temps semble toujours un peu le même ; au moins, ne fait-il plus chaud. J’ai les cheveux gras, ne sens pas très bon, mais n’ai pas envie de me laver, pas tout de suite en tout cas, préfère à l’inverse végéter quelques instants encore dans cette sorte d’état pas très agréable, quoique plus vivant qu’un autre, peut-être, manière d’état second où je me sens bien, et écrire de la sorte, en paix avec moi-même. Pour apprécier au mieux l’épaisse couche gris sombre de nuages qui avale la colline, je me lève, éteins la lumière, non sans avoir tout d’abord fermé la porte pour ne pas entendre l’enfant qui joue jouer, cependant que de téméraires et rares oiseaux de mer survolent une ville qui paraît déserte et n’est sans doute pas plus laide de l’être un peu. Dans mon carnet au bison rouge, il y a quelques jours, j’ai noté une réflexion sur l’endroit où je voudrais vivre, je la parcours du regard sans la relire, me réfère à ce à quoi elle fait référence, réflexion qui prenait pour point de départ une réflexion vieille de plusieurs années (preuve que ces carnets qui semblent trop gros pour être remplis ont une importance, qui conservent des couches d’individualité que des années séparent) où je disais que j’allais bientôt quitter Paris. Comme le temps, je reviens toujours au même, mais ce n’est pas cela que j’ai noté dans mon carnet au bison rouge, que j’étais inconstant, incorrigible, insatisfait, dirais-je à présent, éternellement, que je m’en prenais probablement à des causes qui ne sont qu’occasionnelles, pour employer ce langage théologique d’un autre temps, lesquelles n’ont très certainement rien à voir avec l’origine réelle de ce que je ressens. On peut bien accuser le temps qu’il fait d’être responsable de nos maux, tout est bon pour inventer de nouveaux désordres dont le but est de normaliser ce qui ne devrait pas l’être, à cette réserve près que le temps qu’il fait nous ignore superbement (fût-il lié, d’ailleurs, au réchauffement climatique). Quelque part dans l’immeuble, quelqu’un fait encore des travaux, et j’ai beau essayer d’assimiler ce bruit odieux, je n’y parviens pas. Qui ose déranger ce temps parfait pour s’abandonner à autre chose que soi et le plaisir de goûter avec délectation une douce rêverie mélancolique dépourvue d’objet ? Faut-il toujours que les besogneux dérangent le monde autour d’eux ? D’où vient que nous sommes incapables de laisser les choses telles qu’elles sont ? Plus grave que l’impuissance : l’inaptitude à l’inaction. Quand nous devrions rester là où nous sommes à ne rien faire, nous nous mettons toujours en tête de trouver quelque occupation : mettre de l’ordre dans la bibliothèque, passer l’aspirateur, percer des trous dans les murs, trouver des solutions au problème du réchauffement climatique, mettre en ligne un nouveau système d’exploitation. Alors qu’il est si bon de s’assoir dans un fauteuil d’où regarder la pluie tomber. Ce matin, quand je me suis levé, Daphné, enveloppée dans une grande couverture noire, était assise dans le fauteuil beige et regardait par la fenêtre la pluie qui tombait dans le jour pas tout à fait levé. Il y a quelques instants, je l’ai chassée de là où elle était revenue s’installer pour écrire. Cruel père. Écrivant cette phrase, j’entends la porte qui s’ouvre et l’enfant qui approche à pas feutrés. Cette fois-ci, je ne la chasse pas, non, au contraire, je la laisse s’installer et déclarer d’une voix qui traîne quelque peu dans son enjouement : « Il pleut. »

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