11.11.21

Peut-être qu’il fait beau dehors, je crois que oui, mais je n’ai pas envie d’aller voir, je préfère rester dans mon lit, encore un peu, écrire là, à l’abri, caché. À l’abri, caché de quoi ? Du monde, je dirais, non qu’il me fasse peur, nulle « iksophobie » (où quelque chose = X) de ma part, simplement l’envie de n’avoir pas envie, ou non, mieux : de n’être pas soumis au régime de l’envie. Dans cette chambre encore sombre — je n’ai pas allumé la lumière, elle vient de l’au-delà de la chambre, de la salle de bains —, dans cette chambre sombre, je n’ai pas envie de refaire le monde, il m’indiffère. Tout ce qu’il m’en provient me laisse froid, étrange, c’est-à-dire : qui ne me concerne pas, ne me touche pas, parle d’autres que moi, à qui je ne ressemble pas, que je ne dirais pas « mes semblables ». Hier, cette quasi citation de Sartre exprimait-elle bien mon état d’esprit (il est le même aujourd’hui) ? Certains êtres ne sont pas des êtres en soi — peut-être le sont-ils pour eux-mêmes, mais en quoi cela me concerne-t-il ? —, ce sont des parasites. Mais je crois que la formulation sartrienne ne me convient pas ; ce n’était pas cela que je voulais dire. Autrui ne vole pas mon monde, le monde n’est pas une propriété, pas ma propriété, je n’ai pas un monde à moi, tu n’as pas un monde à toi, etc. — Sartre était essentiellement un penseur bourgeois, on s’en rend compte aisément —, le monde ne m’appartient pas, il est, comme moi, comme toi, comme nous, qui sommes, chacun à notre façon, le monde et nous, de la façon donc dont il me semble que je dois formuler les choses, autrui ne me vole pas mon monde, autrui me gâche le monde. Le monde est beau (parfois, souvent, il n’est peut-être pas nécessaire d’en quantifier la fréquence au lit), le monde est beau et autrui vient l’enlaidir par sa présence, son action, forme de parasitisme. Mais même cette notion-là : « autrui », dans son espèce de généralité ontologique, même cette notion est absurde, ce n’est pas autrui, qui n’existe pas, c’est telle ou tel autre, que je pourrais nommer ici, mais que je n’ai pas envie de nommer car, le nommer, cela reviendrait à faire exister l’autre ici. Or, l’autre m’est nuisible (mieux que : « l’autre me nuit » ?), etc. Est-ce pour échapper à autrui que tu ne te lèves pas ? Mais, je viens de te le dire : autrui n’existe pas. C’est toujours une ou un. Les entités générales nous font du tort, qu’elles portent ou non une majuscule. Ce serait une solution tentante, mais non, on ne peut pas procéder par soustraction, ôter du monde tout cela qui nous pose problème. Oui, il y a toujours quelqu’un de laid qui vient entacher la belle organisation que nous essayons de mettre en place, mais n’est-ce pas aussi la fonction de l’autre : de nous ouvrir à l’imperfection du monde, de nous obliger à l’accepter, que cela nous plaise ou non ? Ou, mieux dit encore : l’imperfection fait partie de la perfection du monde. Le monde est parfait tel qu’il est, si imparfait soit-il. Que l’imperfection participe de la perfection du monde est susceptible de recevoir deux interprétations opposées : 1) un sens « quiétiste » : je n’ai rien à faire, le monde est parfait tel qu’il est, si imparfait soit-il, vivre, c’est accepter le monde tel qu’il est, parce qu’il est parfait, etc. ; 2) un sens « perfectionniste » : c’est l’imperfection du monde qui le rend parfait, en cela qu’il est ouvert au perfectionnement, à l’action de le parfaire, je ne trouve pas le monde parfait, c’est à moi de le faire, de le parfaire. C’est ce sens « perfectionniste » qui nous pousse à sortir de la tribu pour devenir des individus, pas des répliques, des modèles uniques, originaux, pas des copies, des idiots. Ce sens-là qui nous pousse à écrire. Et maintenant, je peux sortir de mon lit.