Sensation de vide soudain qu’accentue la sorte de déluge qui s’abat sur la ville depuis le matin. Épisode méditerranéen, dit-on, qu’on croirait plutôt de chaleur, à en juger par le nom, mais non, de pluie. Circulant entre le salon et la cuisine, je me parle à moi-même, pas tant pour me convaincre que je ne suis pas fou, que pour essayer de meubler cet espace qui s’est libéré d’un coup, le temps qu’il faut à une porte pour se fermer, à l’enfant pour revenir s’équiper de parapluies, et moi de disparaître dans la pénombre que clôt sur elle-même la lumière de l’ascenseur quand il se referme, quand il enferme la lueur électrique qui déborde dans le noir étage d’un immeuble froid, et triste, et sans âme. Comment un immeuble aurait-il une âme ? Ou, pourquoi n’en aurait-il pas ? L’horizon a disparu derrière le rideau des nuages, le rideau de la pluie, n’en demeure plus qu’une paroi grise et de vagues ombres au loin, silhouettes des îles qui se dessinent dans la confusion de l’atmosphère. Je me parle d’une démocratie utopique où la conversation ne cesserait jamais, où ce serait son destin que de ne s’achever jamais, et me trouve avec moi-même pour seul interlocuteur. Est-ce là ce qu’on appelle l’ironie du sort ? Et qu’est-ce qui la distingue de l’ironie de l’essor ? J’imprime une version pirate de la traduction française des thèses sur le concept d’histoire de Walter Benjamin. Sortir de la logique du pouvoir, me dis-je, existe-t-il un argument qui permettrait d’emporter la conviction qu’il le faut ? En son absence, nous n’avons d’autre choix que de continuer à parler, de ne jamais nous arrêter. Commentant le tableau de Paul Klee, Angelus Novus, où il voit un ange emporté par la tempête qui souffle du paradis, Benjamin clôt sa célèbre neuvième thèse par ces mots : « Cette tempête est ce que nous appelons le progrès. » Et rien, rien ne ressemble autant au progrès que le déclin.

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