Il faut toujours parler. Même quand il faut se taire. La musique permet de ne rien dire. Quand il me semble que je n’en écoute pas assez (mais qu’est-ce que cela veut dire assez ? ce n’est pas une question de quantité), quand il me semble que je n’écoute pas assez de musique, c’est qu’il y a trop de paroles dans ma vie, que quelque chose lui fait défaut, qui serait de l’ordre du recueillement, si ce terme n’était pas si marqué par la religion, et qu’il faudrait peut-être nommer simplement, l’accueil. La musique confine au silence. J’écoute Bach. Les cantates du jour (premier dimanche de l’Avent : BWV 61, BWV 62, BWV 36, par John Gardiner, et tout à l’heure, autre chose encore, de Bach toujours, sans doute, le Magnificat, peut-être). Dans Au-delà du style, Morton Feldman dit quelque part qu’il ne peut pas écouter Bach sans le protestantisme, qu’il ne peut pas écouter Bach abstraitement. La raison la plus profonde, peut-être, pour laquelle j’aime tant la musique, c’est son abstraction. Bach peut bien raconter n’importe quoi, Nun komm, der Heiden Heiland, ou rien du tout, la musique m’en dégage absolument, la musique s’en dégage absolument, irréductible qu’elle est à toute liturgie, à tout contexte, à tout discours, à tout langage. Ce dont, soit dit en passant, la musique populaire est incapable, qui doit toujours dire quelque chose (les chansons), révélant par ce dire toute la bêtise dont elle provient, et à laquelle elle reconduit sans cesse. C’est un fait que Bach est totalement imprégné de luthéranisme, tout comme c’est un fait que la force de sa musique est tout ce par quoi elle s’en libère. Non que la musique se sécularise, mais elle abolit toute référence relative à son contexte d’émergence. De la même façon, qu’écoutant Three Voices, ces voix-là peuvent raconter n’importe quoi, Frank O’Hara ou pas, la musique ne se réduisant pas à son texte, pas à son contexte, — la musique sublime. Et par abstrait, donc, je n’entends pas quelque chose de désincarné, mais précisément une incarnation supérieure, une sorte d’incarnation universelle, qui touche, concerne, anime l’univers tout entier. De la même façon encore que le vent rédime Marseille, l’illumine. L’ai-je déjà dit ? Probablement. Probablement que je le dis tous les ans, ou à défaut le pense, la lumière est tout ce qui sauve cette ville qui, sans elle, ne mériterait probablement pas d’exister. Mais la partie de cette remarque qui porte sur la lumière concerne plus la région dans son ensemble que la ville seule. Tandis que la remarque sur la rédemption concerne la seule ville. Enfin, je crois. J’ai l’impression que mes sentiments à ce sujet sont confus. Ne me forcé-je pas à une certaine détestation, un certain mépris, du moins ? Je ne sais pas. Voyant ce que je vois, je ne sais pas si c’est moi qui me force ou la ville qui m’y force. Mais passons. Ce n’est pas ce que je voulais dire. À l’approche de la fin de l’automne, lorsque le vent se lève et que la température baisse, Marseille devient habitable, aimable, l’air respirable, la vue agréable : je lève les yeux au ciel, et tout est parfait, tout mérite d’exister, l’existence de tout se voit justifiée.

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