29.11.21

Je regarde la mer. La mer ne me regarde pas. Je pourrais inventer mille façons de justifier cette incompréhension. Je ne le ferai pas. Je préfère encore cet état-là, d’indétermination, entre une chose et son contraire : un qui regarde et l’autre pas. J’ai l’impression que le vent souffle de plus en plus fort alors qu’en réalité, non. C’est ce que me dit quelqu’un qui ne me parle pas, répand des informations. Ma météorologie à moi me dit que le vent souffle de plus en plus fort, me dit que plus il souffle fort, et plus je l’aime, que j’aime cette violence, on dit déchaînement alors que rien n’a jamais été enchaîné, c’est ainsi, et c’est tout, et c’est bien qu’il en soit ainsi. Je réfléchis, sans trouver de réponse à ma question. Laquelle ? Je n’ai pas besoin de la formuler. Pourquoi ne pourrais-je pas me contenter d’aimer ? Ne gagnant pas un sou, il me semble que seule l’écriture justifie mon existence. Ou, plus exactement peut-être, que j’écris pour justifier mon existence. Est-ce exagéré ? Je serais enclin à dire que nulle existence ne devrait avoir besoin de se justifier ; est-ce vrai ? Y a-t-il un droit à exister ? Toute la différence, me dis-je, ne se situe-t-elle pas ici ? Entre le pouvoir et la puissance. Cette nuit, j’ai eu du mal à m’endormir. J’ai tourné dans mon lit jusqu’au moment où je me suis redressé pour écrire quelques phrases, les quelques phrases qui m’empêchaient de dormir, qu’il était nécessaire d’écrire à ce moment-là. Pour ne pas allumer la lumière, pour ne pas risquer de réveiller Nelly, j’ai attrapé mon téléphone, et j’ai écrit à la lumière de l’écran. J’aurais préféré, c’est certain, écrire dans mon cahier. Ce n’était pas le moment. Alors j’ai fait ce qu’il faut toujours faire : privilégier l’acte au medium. Défétichiser notre rapport au monde. Mettre l’accent sur les usages plutôt que sur les choses, sur la signification plutôt que sur les mots, sur nos gestes plutôt que sur les objets, sur nos pensées plutôt que sur les données. Dissoudre notre relation au monde : ne plus être dans une relation à, ne plus être, — vivre. La différence peut n’avoir l’air de rien, elle est immense, pourtant. Avec elle, tout se reconfigure, toute une organisation neuve se met en place. Écrivant cette page, je prends soin de ne pas me servir d’un mot qui revient trop souvent (je m’en aperçois). D’elles-mêmes, mes phrases se tournent d’une autre façon. Continuer en ce sens. C’est-à-dire : pas nécessairement en omettant ce mot, — en permettant aux phrases de se tourner d’elles-mêmes. Fleurs héliotropes.